Jean
Teulé, je le suis depuis des années. Sa carrière croise régulièrement
mes envies et aspirations.
Nous sommes à la fin des années 80. Je le
découvre lors de sa participation à l'émission de Bernard Rapp, l'Assiette
Anglaise. C'est le seul chroniqueur dont je me rappelle (Christine Bravo y serait
aussi passée... un déni de ma part ?). J'aimais son style un décalé (à vrai
dire, je lui trouvais un petit air de Jacky du Club Dorothée), son humour très
particulier et ses reportages qui ne ressemblaient à aucun autre. A vrai dire,
je ne me rappelle que de deux sujets: un sujet très WTF dans lequel Anne
Zamberlan , sur une voie de chemin de fer désaffectée, faisait des bulles
de savon géantes, et un autre, sur une vieille dame morte seule dans son
appartement et retrouvée momifiée des mois plus tard. Je me souviens d'un joli
reportage, drôle et poétique, mais aussi interpelant dans sa manière subtile de mettre en évidence la solitude effrayante de cette femme... la Teulé's touch,
en fait.
Ensuite, comme beaucoup de ma génération, ce sont
les années Canal, l'esprit Canal, les Guignols, les délires d'Antoine De Caunes
et José Garcia et NPA, quand ces initiales renvoyaient à Nulle Part Ailleurs et
pas au Nouveau Parti Anticapitaliste de Philippe Poutou. Parmi les multiples
chroniqueurs, un certain Jean Teulé qui propose deux séquences très amusantes:
les questions gentilles/questions vaches, posées par des quidams aux invités,
et les petits bonheurs/petits malheurs, petites capsules d'anecdotes diverses,
dont une mettant en scène son pote Charlie Schlingo, reprise dans la belle biographie que Teulé lui a consacré avec Florence
Cestac.
Ensuite, Teulé disparaît de
mon radar pendant plusieurs années. L'amateur de bande dessinée ultra-classique
que je suis à l'époque ignore tout de son activité au sein de l'écho des
Savanes ou (A Suivre). J'ignore même qu'il reçoit le prix du meilleur album à
Angoulême ex aequo avec Le Gall & Yann (avec le tome 3 de Théodore Poussin,
Marie Vérité) en 1989 pour 'Gens de France'.
A l'époque, je lisais relativement peu de romans
francophones contemporains. J'ignorai donc que Jean Teulé avait déjà signé
quelques livres plutôt bien accueillis. J’ignorai qu’il avait reçu la visite
d'une lointaine cousine qui tenait à lui raconter son histoire pour qu'il en
fasse un livre. De cette rencontre, Jean Teulé sortit transformé. Il écrivit
l'histoire de cette cousine dans le très beau et très dur "Darling". Et il prit conscience
qu’il ne pouvait concevoir son avenir que dans la littérature, et dans l'exploration
de ces destins fracassés et anonymes. Le succès inattendu du livre lui permit
de renoncer au confort matériel de la télévision pour se consacrer entièrement à
l'écriture.
Marina Fois, dans le rôle de Darling (film de Christine Carrière, avec Guillaume Canet) |
Sans doute est-ce la curiosité de voir le nom de Jean
Teulé en couverture de 'Ô Verlaine' qui me donna envie d'acheter, en 2006, ce
roman sur les dernières années du poète. Ce fut une révélation, et le début de la découverte
d'un auteur que j'apprécie beaucoup. Suivirent les lectures de 'Je
François Villon', 'Le Montespan', 'Les lois de la gravité'... autant de romans qui m'ont séduits.
Et, en parallèle, lors d'une visite chez un
bouquiniste, en fouillant dans le bac des vieux Casterman, mon regard tombe sur
cette couverture d'une hideur rarement atteinte. Passé un mouvement de recul
bien compréhensible, je remarque le nom sur la couverture... Jean Teulé. Je
feuillette et me trouve face à ce surprenant mélange de textes et de photos
retouchées (hachures, lavage, gommage, tramage, froissage, etc.) sur lesquelles
il dessine et peint. Pour Teulé, le travail d'après photo ne vise pas à un
réalisme à la Ponzio, mais permet une relecture de l'image, qui gagne en sens
et en mouvement.
Et dès les premières pages, cette histoire familière
du frappadingue qui construit une soucoupe dans son jardin, pour emmener sa vieille
mère mourir sur Altaïr. J'ai déjà vu son histoire dans un reportage de Strip
Tease. Dans une interview, Jean Teulé expliquait qu'il avait fait quelques
échanges de barjos avec l'équipe de redaction de l’émission. Le dingue à la
soucoupe est une découverte de Jean Teulé. La prostituée-artiste peintre croisée dans 'Gens d'Ailleurs' est
une découverte de l'équipe de Manu Bonmariage. J'achète la chose, me paye les
regards entendus et limite méprisants du vendeur, sans doute bien content
d'avoir trouvé un gogo pour le débarasser de ce truc improbable qu'il a dû
trouver bien caché au milieu d'un lot.
Et ce fut une révélation de plus. Jean Teulé sillonne
la France et multiplie les rencontres. Il croise ce fameux Jean-Claude et sa
soucoupe, mais également une illuminée qui s'est fait littéralement dérober une
pièce de son appartement. Il relate la tragédie ordinaire d'une ado poussée au suicide
pour le vol d'un soutien-gorge à 52 FF ou confesse son admiration un peu
honteuse pour Baudoin, médiocre peintre de mairie du XIXe. Enfin, il rencontre
Happy Mike lors du festival d'Angoulême, ce qui nous vaut quelques pages sur un
bédéphile à l'ancienne. Ce portrait semble marquer la rupture entre Teulé et la
bande dessinée, qui semble sincèrement se demander ce qu'il a de commun avec ce
type. Mais, et c'est là ce qui rend l'univers de Teulé si étonnant, c'est ce
ton qui est le sien depuis le début. Ce détachement, cet 'art de la distance'
qui passe par un graphisme qui ne cède jamais à l'esthétisme facile et un
propos complexe (qui fera dire à Wolinski que ses bandes dessinées sont trop
comlexes), qui fait qu'on ne sait jamais vraiment ce que pense Teulé. Il expose,
avec un curieux mélange d'ironie, de curiosité et meme parfois d'une certaine
tendresse. S’il peut être cruel, il n’est jamais méchant. Teulé se pose en
témoin, qui observe sans vraiment prendre partie, ou du moins sans se laisser
influencer par l'émotion du moment. Ses quelques pages sur l'affaire Grégory
paraissent tellement en décalage avec le traitement passionnel qui l'a
accompagné pendant tant d'années. Il se permet une grande sévérité,
qui peut même choquer. Car Teulé n'est pas politiquement correct. Il n’hésite pas
de traiter Soeur Emmanuelle de vieille punaise, par exemple, alors qu'elle était citée en exemple à la manière d'une Mère Térésa.
Jean Teulé continuera ses reportages, compilés dans
'Gens d'ailleurs', qui bénéficiera d'un habillage toujours aussi abominable de
la part de Casterman, qui ne devait pas savoir quoi faire de ce truc. Puis,
Teulé tournera le dos à la bande dessinée, sans doute trop pris par ses
activités à la télévision, puis par la littérature. Sans doute trop en marge,
peut-être trop en avance ou trop particulier. Il fut l'un des pionniers du reportage en bande dessinée. Il aura pourtant laissé une vraie
marque, surtout sur Frédéric Poincelet, qui maquette tous ces livres depuis
quelques temps et, via sa maison d'édition Ego Comme X, a mis sur pied une
intégrale des "Gens de France et d'Ailleurs", qui ajoutent 18 histoires à celles
déjà reprises en albums. A noter que Casterman semble avoir fait preuve d'une
certaine mauvaise volonté pour retrouver les films originaux, obligeant
finalement Ego Comme X a reprendre tout le travail d'édition. Ils sont
d'ailleurs 'remercié' en page de garde pour leur non-collaboration.
Depuis, si Jean Teulé est revenu ponctuellement à la bande dessinée en scénarisant la biographie de Schlingo, il faut noter que deux de ses romans ont été adaptés en bande dessinée: Le Montespan et Je, François Villon. On annonce également une adaptation du Magasin des suicides, mais qui doit sans doute beaucoup à l'adaptation animée que supervise Patrice Leconte. Mais je dois avouer ne m'être intéressé à aucun de ces livres. De même que je n'ai jamais vraiment cherché à approfondir le travail de Teulé en bande dessinée. Si un vent favorable apporte sur ma table de nuit Virus, Bloody Mary ou Filles de Nuit, j'y jeterai un regard curieux. Mais, étrangement, cela ne m'attire pas plus que cela.
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