mercredi 28 mai 2014

Manu Larcenet ferme son blog

L'excellent Manu Larcenet met un terme à son excellent blog. Dans une dernière note, il explique qu'il en avait assez de voir les images qu'il publiait se retrouvaient reprises sans son autorisation, comme il l'explique:

[...]La seule « règle » que je demandais de respecter était de ne pas copier les images pour aller les mettre ailleurs, persistant dans l’idée que leur place est ici, dans le décor que j’ai conçu, à ma manière, et que les regarder dans un autre environnement changeait radicalement non seulement leur esthétique, mais aussi leur sens. Légèrement, bien sûr, hein, je parle de choses subtiles, là, sans doutes incompréhensibles pour certains, mais assez essentielles pour que ça m’ennuie.
Or, force est de constater que beaucoup se sont servis ici pire qu’au Macdo, y compris même des « journalistes »! Ces gens pensent sans doute que ces image n’ont pas de valeur, qu’on peut les détourner, les maltraiter, qu’on peut en faire ce que bon nous semble. C’est oublier que chaque image affichée ici est un bout de mon chemin. Je sais à quel point ça sonne romantique et tout, mais c’est pourtant, en ce qui me concerne, l’exacte vérité. J’avais déjà tenté d’expliquer ça, dans un texte, il y a quelques temps… Mais apparemment, ça n’a pas été compris.[...]
Je dois reconnaître que j'ai toujours considéré cette décision comme inéluctable. Ce qui me surprend, c'est plutôt que cette fermeture intervienne aussi tard. Manu  Larcenet défend son point de vue depuis des années. Je l'ai toujours trouvé à la fois totalement irréaliste mais tout-à-fait respectable, parce que derrière la sincérité de sa démarche, il a voulu croire à celle des internautes.
en fait, Larcenet n'est pas fait pour internet, cette grande foire où tout le monde se sert sans gêne chez tout le monde. Il a essayé. Il s'est frotté aux forums qu'il a déserté parce qu'il ne supportait pas l'agressivité de certains trolls. Avec ce blog, il a voulu croire à la responsabilité des internautes. Je crois qu'une grande majorité a joué le jeu, ce qui explique qu'il a continué l'expérience aussi longtemps. Mais il en a eu assez a a décidé d'y mettre un terme.
Et c'est bien dommage.

mardi 27 mai 2014

De Stephen Harper à Alain Finkielkraut

Ces derniers jours, une mini-polémique est née autour de déclarations d'Alain Finkielkraut qui, par de surprenant détours, justifiait une forme de discrimination culturelle.

« Je ne sous-estime pas, bien au contraire, la nécessité de lutter contre la discrimination raciale, à l’embauche ou au logement. Mais on a l’impression, aujourd’hui, que c’est toute discrimination qui est mise en cause. C’est le droit de discriminer qui est refusé au nom de l’égalité de tous.

C’est ainsi qu’on peut se targuer d’aimer la bande dessinée. Pourquoi ne pas aimer la bande dessinée ? Mais s’en targuer c’est autre chose. C’est dire, en sous-main, il n’y a pas d’art mineur. Et quand on dit il n’y a pas d’art mineur, non seulement on réhabilite les arts mineurs, mais on vide les autres. »
En réaction, Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial, a lancé l'opération Une BD pour Finkie, qu'il définit ainsi

 J'ai décidé d'offrir à notre détracteur à tous, nous les minorités culturelles risibles, un chef-d’œuvre de la bande dessinée, qui traite pour le moins de discrimination. Car sur ce point, nous sommes d'accord, les deux ne sont pas incompatibles. J'ai choisi Maus d'Art Spiegelman, prix Pulitzer, tout de même !

A titre d'exemple, les critiques des inrocks ont sélectionnés les (excellents) titres suivants:

  • L’art invisible de Scott McCloud
  • Alpha de Jens Harder
  • Ayako d’Osamu Tezuka
  • Paracuellos de Carlos Gimenez
  • Un monde de différence de Howard Cruse
  • L’Ascension du Haut Mal de David B (aussi proposé par Manu Larcenet)
  • Le photographe d’Emmanuel Guibert et Didier Lefèvre
  • Le Transperceneige de Lob et Rochette
Si je devais choisir un titre, je choisirai Les Ombres d'Hyppolite et Vincent Zabus ou Fritz Haber de Vandermeulen.

Mais cette initiative m'en rappelle une autre, tout aussi réjouissante, de Yann Martel, l'auteur de L'Histoire de PiDu 16 avril 2007 au 31 janvier 2011 , il a envoyé toutes les deux semaines un livre accompagné d'une lettre au premier ministre canadien Stephen Harper. Ce dernier représentait la caricature du technocrate peu intéressé par la culture (selon Yann Martel, il aurait déclaré que son livre préféré était le Guinness Book of World Record, mais la véracité de cette anecdote est difficile à établir). Martel ne reçut en retour que quelques accusés de réception standardisés. Début 2011, il mit un terme à ce défi littéraire, qu'il relayait sur un website (hors ligne depuis lors), après avoir envoyé une centaine de livres et a compilé ses lettres dans un livre: 101 Lettres a un Premier Ministre : Mais Que Lit Stephen Harper?, dont voici un extrait de l'introduction:



"Voici un livre qui parle de livres. C'est une suite épistolaire. Les lettres qui la composent viennent d'un écrivain canadien, moi, et leur destinataire est un politicien canadien, le premier ministre Stephen Harper. Dans chacune, je commente une oeuvre littéraire. Un roman, une pièce de théâtre, un recueil de poèmes, un texte religieux, une bande dessinée, un livre pour enfant - le choix est vaste. J'ai posté au bureau du premier ministre, à Ottawa, un exemplaire de chaque ouvrage, daté, numéroté et dédicacé, une lettre soigneusement pliée sous la couverture. Avec respect et constance, j'ai fait cela toutes les deux semaines, du 16 avril 2007 au 31 janvier 2011 ; un total de cent lettres accompagnant un peu plus de cent livres. Bien des livres, bien des lettres, une question essentielle dominant l'ensemble : quelle intelligence, quel esprit voulons-nous que nos leaders possèdent, nourris de quoi ? L'argument que je présente est que la littérature - par rapport à la non-fiction qui traite des faits - est un élément essentiel à la réflexion profonde, à une sensibilité élargie en ce monde complexe du XXIe siècle. Une intelligence qui n'a pas été nourrie par le produit réfléchi qu'est le roman, la pièce de théâtre ou le poème saura sans doute administrer les affaires d'un peuple, maintenir en place le statu quo, mais ne sera pas apte à diriger vraiment ce peuple, parce que pour exercer un véritable leadership, il est nécessaire de comprendre ce que sont les choses et de rêver à ce qu'elles pourraient être, et rien ne présente ce type de compréhension et ce genre de rêve mieux que la littérature. Voilà mon argument et il revient aux Canadiens et Canadiennes, lecteurs assidus ou non de littérature, de décider quelle est leur position face à cet argument. Est-ce que la littérature forme le caractère ou n'est-ce qu'un divertissement, c'est là la question."



La liste des livres qu'il a envoyé peut être consultée ici (lien en anglais).

Dans tous les cas, j'ai l'impression que le question posée a Finkielkraut (dont le nom est ironiquement la contraction phonétique de Finkel, série de Convard et Gine et de Croot, nom de la mythique mouette-à-béton qui accompagne John Difool dans L'Incal) et Stephen Harper porte sur les pratiques culturelles et sur le mépris ou le désintérêt que les élites leur portent.
Stephen harper les délaisse comme le gros monsieur rouge qui fait des additions en répétant "je suis un homme sérieux" dans le Petit Prince. Alain Finkielkraut les classe, les hiérarchise et exclut définitivement ce qui ne correspond pas à sa vision. Sacraliser l'un et sacrifier l'autre. Accepter une inégalité fondamentale dans les arts revient à les accepter dans tous les domaines. Ce qui importe, ce ne sont pas les arts majeurs par opposition aux arts mineurs. Ce sont les oeuvres majeures qui importent, d'où elles proviennent. 

lundi 12 mai 2014

Jeux pour Mourir


Jeux pour Mourir, d'après Géo-Charles Véran, est un livre à la mauvaise réputation que son auteur, Jacques Tardi, n'assume pas vraiment.
En cause ?
Certainement pas sa qualité.
Tardi signe un livre très réussi. L'intrigue assez classique, même dans ses chausse-trappes et ses rebondissements, lui permet de laisser libre court à son talent pour recréer l'atmosphère poisseuse d'une petite ville de banlieue des années d'après-guerre, avec son cortège de personnages truculents.
Jeux pour Mourir, c'est un polar "populaire" un peu dans la veine de ses adaptations de Léo Malet ou du Secret de l'étrangleur, son adaptation ludique du roman de  Pierre Siniac.
L'action se situe quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale. Trop loin pour encore susciter la peur, trop récente pour être reléguée définitivement dans le passé.
La France tarde à se relever, surtout dans les petites villes de province.
Rien à faire, rien à espérer...
Et pour les gamins qui y vivent, c'est pire.

Ils sont quatre: Cat, la Fouine, Mérou et l'Hérisson.



Des enfants qui n'en sont plus vraiment et qui traînent un peu trop près d'adultes pas trop nets.
Ils s'emmerdent et font des conneries. A la limite de la délinquance.
Puis, ils basculent carrément dans le crime lorsqu'ils zigouillent une vieille pour lui faucher son coffre à bijoux.
Un fait divers d'une banalité affligeante, à tel point que le commissaire préfère se tirer pour le  weekend avec sa maîtresse et laisser son sous-fifre, flic brutal, alcoolique et peu capable, se charger de l'enquête. Certains ont peur, comme la baronne, fausse médium, qui s'imagine déjà prochaine victime. D'autres s'inquiètent que cette histoire puisse déranger leurs petites affaires.
Tout avait  commencé comme un jeu malsain pour 4 gamins. Mais la tragédie est en marche. Il lui faudra 4 jours pour arriver à son terme.
Quatre jours: un pour jouer, un pour se faire peur, un pour tuer, un pour mourir.

Du Tardi classique.
Du très bon Tardi.
Et pourtant, un livre qui reste méconnu, rarement cité. Et quand il l'est, la polémique qui revient, comme dans une tribune au vitriol de Chantal Montellier...
Pourquoi?


Ce livre est l'adaptation du seul roman de Géo-Charles Véran, qui obtint le prix de littérature policière en 1950. De Géo-Charles Véran, on sait peu de choses. Qu'il fut un obscur journaliste, qu'il a signé ce livre et qu'il a consacré sa retraite à la protection de l'enfance. C'est un peu près tout. Rien de bien méchant.

C'est dans la monographie qu'ont consacré les Editions Niffle à Tardi que se trouve la réponse. Dans ce long entretien avec Numa Sadoul, Tardi explique comment, alors que le livre était prêt à sortir, il va apprendre le passé de Géo-Charles Véran, considéré comme collaborateur durant l'Occupation. Ce sera un choc pour lui, qui se réclame plutôt de "l'anarchisme de gauche".
A vrai dire, je n'ai rien trouvé sur internet qui étaye le passé collabo de l'auteur. Tout au plus mentionne-t-on qu'il a longtemps travaillé au Petit Parisien, qui fut transformé par les nazis en journal de propagande pendant l'occupation. Y-a-il travaillé à cette période? C'est possible. 
On pourra également trouver surprenant que Tardi ait eu des scrupules concernant Géo-Charles Véran mais n'aura pas d'états d'âme à célébrer Céline ou à adapter à plusieurs reprises Léo Malet, au racisme pourtant plus que revendiqué.



Mais dans les faits, si ce Jeux pour mourir reste au catalogue de Casterman, il reste un livre méconnu de son auteur. Et c'est dommage parce qu'il est très bien.

vendredi 2 mai 2014

Une case prémonitoire...

Au hasard d'une relecture, je suis tombe sur cette case (désolé pour la mauvaise qualoité du scan):



Elle est extraite de l'adaptation de Perdita Durango Par Scott Gillis et Bob Callahan, au sein de la collection épéhème Neon Lit, qui édita egalement, si je ne me trompe, l'adaptation de  Cité de Verre (de Paul Auster) par David Mazzucchelli & Paul Karazik et le Kafka (le titre original était Kafka for Beginners, en écho aux livres pour les nuls, l'éditeur français a eu la bonne idée d'ignorer cette allusion qui, si elle ne prête pas à confusion en anglais, aurait pû étre mal reçue chez nous) de David Mairowitz et Robert Crumb.
Elle date de 1996...
prémonitoire...