mardi 16 janvier 2018

Shelter Market: Mise à jour par Chantal Montellier


cette chronique a été effectuée dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio.

En 1980 Chantal Montellier publie Shelter aux Humanoïdes Associés. Dans ce récit dystopique, un groupe de personnes se retrouvent piégés dans un centre commercial souterrain suite à une explosion nucléaire. La survie s'organise. La situation semble optimale. Le centre commercial offre tout ce qui est nécessaire à la survie, depuis l'indispensable nourriture jusqu'au plus futile des divertissements. Malgré le confort exceptionnel qui en découle, le spectre du totalitarisme surgit rapidement.
Le titre "Shelter" est  une référence à la chanson des Rolling Stones Gimme Shelter (donne moi un abri). Un abri est par définition fermé, comme une cocotte minute. Si la température s'élève, la pression monte jusqu'à l'explosion. Chantal Montellier mettait en scène cette montée en pression, tout en lui adossant le insiste sur le cauchemar consumériste, qui endort les consciences. Pinochet assurait une partie de son pouvoir sur l'anesthésie provoquée par une vie facile et confortable. Rollerball de Norman Jewison décrivait une société qui avait poussé le concept de "du pain et des jeux" jusqu'à l'absurde.
En enfermant des personnes sans histoires dans un temple de la consommation, elle imaginait le pire. Cela aurait pu être une utopie. Des hommes et des femmes isolés, mais ne manquant de rien. L'organisation se met en place, prônant une juste répartition des tâches, abolissant l'argent... sans avoir à se soucier de sa subsistance et en ayant accès à toute une gamme de divertissement. la nature humaine étant ce qu'elle est, ce sera une dystopie.
Shelter avait déjà été rééditée au début des années 2000 dans une anthologie (Social Fiction) qui reprenait 2 autres récits (1996 et Wonder City) réalisés à la même période. Dans la préface cette anthologie, Jean-Pierre Dionnet insistait sur la pertinence de la vision de l'auteure. Alors que la BD de SF française de la fin des années 70 souffrait d'une idéologie contestataire parfois trop naïve (relisez Armalite 16 ou Marseil de Michel Crespin, si vous le pouvez), les livres de Chantal Montellier continuent d'interpeller. Si la forme était encore fragile, le fond l'emportait largement. Toujours selon Dionnet, Montellier n'avait pas l'habilité d'un Tardi, ni la précision esthétique du groupe Bazooka (dont elle était proche). Pourtant la force de son propos est telle que son travail reste d'une urgente actualité.
En 2017, tout ce que dénonçait Montellier dans Shelter continue de s'appliquer. Il parut évident à l'auteur de continuer de faire vivre cette histoire. Mais au lieu d'une simple réédition, elle a préféré une refonte totale qui devint ce Shelter Market: une véritable recréation du livre d'origine. Sans doute éprouvait-elle trop de remords face à certaines maladresses de Shelter. La matière était bien présente. L'auteure faisait même preuve d'une clairvoyance inquiétante puisque ce qu'elle y anticipait continue de nous inquiéter 40 ans plus tard. Elle a entièrement repris le dessin, rajouté une trentaine de planches et modifié la fin, moins elliptique et beaucoup plus désabusée que dans l'original. Par curiosité, j'ai comparé avec le livre original. La base du dessin reste assez semblable, même si on constate l'évolution du trait de Montellier. Certaines planches, mêmes redessinées, restent quasiment identiques dans leur structure. Les textes ne sont que très légèrement modifiés.



C'est dans l'habillage que le travail de recréation de Montellier est le plus intéressant. J'ai toujours eu l'impression d'une auteure en marge de la production habituelle, qui a évolué à contre-courant de la production habituelle de la bande dessinée. Dans Shelter Market, elle emprunte beaucoup au street art, façon Banksy, en multipliant les "collages" de motifs qui évoquent les pochoirs de l'artiste. Elle utilise abondamment le motif de McRon, avatar à peine modifié de Ronald McDonald, dont les injonctions "Be Happy!" traversent le livre, comme une menace sourde. Ces injonctions étaient déjà présentes dans le livre original, mais de manière moins ostentatoire. Le rapport à l'image a changé. Le recours aux codes de street art s'intègre parfaitement dans l'ensemble.



Il est par contre édifiant de constater qu'un passage dans lequel l'héroïne veut porter plainte pour viol reste toujours aussi révoltant. Il démontre à quel point les mentalités n'ont pas changé. Dans cette scène, nous assistons à l'habituelle culpabilisation de la victime conjuguée à l'indulgence envers les agresseurs (mécanisme qui sera capturé sur le vif par Raymond Depardon dans Faits Divers quelques années plus tard) et qui reste malheureusement bien d'actualité en 2018.
Chantal Montellier avait vu juste en 1980.
En 2018, rien ne lui a donné tort.
Au contraire.
Au delà de la curiosité de découvrir un livre qui est une "mise à jour" d'un ancien titre par l'auteur lui-même, Shelter Market est avant tout un très bon livre qui questionne plus que jamais notre société.