lundi 29 juillet 2013

Romain Slocombe, écrivain, entre autres choses...

Ce weekend, petite virée chez Filigranes et mon regard est attiré par Monsieur le Commandant, de Romain Slocombe. Le nom de l'auteur qui m'interpelle. Je connais son travail et ses obsessions depuis un numéro de Vécu consacré au Japon. Dans le livre, la présentation de l'auteur est la suivante:



Né en 1953, Romain Slocombe est l'auteur d'une quinzaine de romans, dont Monsieur le Commandant, un des plus grands succès de la rentrée littéraire 2011, sélectionné pour le Goncourt et le Goncourt des lycéens, traduit déjà en quatre langues et qui a remporté de nombreux prix. Ses derniers livres explorent des domaines tels que la prostitution enfantine (Lolita complex), les relations entre le crime et l'art (Sexy New York), la Shoah en Europe de l'Est (Shanghai connexion), ainsi que les pulsions destructrices et le consumérisme sauvage d'un Occident à la dérive. Romain Slocombe a été adapté à la télévision dans le cadre de la série « Suite Noire » (France 2) pour son roman "Envoyez la fracture !"
Et je m'énerve.

L'oeuvre de Romain Slocombe est loin de se limiter à la seule littérature. Avant d'être écrivain, il est également cinéaste, illustrateur, un photographe renommé et un auteur de bande dessinée. Sur tous ces supports, Romain Slocombe décline ses thèmes de prédilection, constituant une oeuvre cohérente, malgré la variété des genres abordés. Isoler sa seule carrière d'écrivain n'a aucun sens.
Proche du groupe Bazooka et participant à l'aventure Métal Hurlant, on lui doit entre autre Prisonnière de l'Armée Rouge, qui eut l'indigne honneur de la triple interdiction: exposition, affichage et de publicité  ainsi que  Yeun-Ok, l'infirmière héroïque , une parodie jouissive de récit de propagande nord-coréen.
Il y développe son art médical (quelques exemples si vous cliquez sur le lien, peut-être NSFW): des modèles asiatiques à l'air étrangement absent ligotées, blessées, tuméfiées, bandées comme des statues. Cette forme déviante d'érotisme SM semble se moquer d'une violence aseptisée à l'extrême. Il continue d'explorer ce thème dans de nombreux livres de photographies, dont Femmes de Plâtre, Beauties in Bondage ou City of the Broken dolls .
Slocombe est un artiste protéiforme qui s'est construit une vraie crédibilité de apr le monde. Le limiter à sa seule qualité d'écrivain qui a été, honneur suprême, adapté à la télévision, me semble représenter une forme de mépris, peut-être involontaire, pour ce qui ne relève pas de l'écrit. Est-ce honteux pour un écrivain de s'exprimer également par le biais de l'image ? Je ne peux m'empêcher de repenser à l'une des polémiques qui a accompagné l'attribution de la Palme d'Or à La vie d'Adèle...: l'occultation qu'il s'agit de l'adaptation d'une bande dessinée.
Je rajoute un lien vers la bibliographie de Romain Slocombe pour que vous puissiez vous faire une idée plus complète de son travail

lundi 22 juillet 2013

Une évocation de l'Espagne franquiste par Carlos Giménez

 


Après Paracuellos, Barrio et Les Professionnels, les éditions Fluide Glacial ont publié en début d'année un nouveau titre de Carlos Giménez, Les Temps Mauvais (Madrid 1936-1939), qui continue son évocation de l'Espagne Franquiste.
Depuis 2009, c'est donc le quatrième gros volume que consacre Fluide Glacial au travail de mémoire initié par Carlos Giménez dès la fin des années 70.
Il y eut d'abord Paracuellos, projet au départ plutôt autobiographique, dans lequel l'auteur, né en pleine période franquiste, racontait son expérience dans les centres d'aide sociale qui étaient nombreux en Espagne. La vie y était dure. L'auteur s'attache à y montrer les difficiles conditions de vie, la discipline de fer, l'humiliation permanente et cette chape de plomb qu'imposait le franquisme, mais le tout raconté à auteur d'enfant, sans pathos ni édulcorer. Vient  ensuite
Barrio: une chronique d'un quartier populaire de Madrid sous le franquisme. Giménez reprend le personnage de Carlito, son alter alter ego, qui a rejoint sa famille à Madrid. Encore une fois, ce qui transparaît, derrière la dénonciation de la dictature, de la peur et de la violence, c'est l'exaltation d'une vie qui domine malgré tout, dans toutes ces petites victoires sur l'horreur.




Enfin, et dans un registre plus léger, Giménez anime Les Professionnels, qui relate l'effervescence de la vie d'un studio de bande dessinée. En trois tomes, il multiplie les anecdotes sur la vie de ces forçats du dessin, dont il fit partie. L'ensemble est plus frais, plus anecdotique aussi.A travers des histoires de quelques pages, Giménez dresse un portrait sans concession de cette période sombre. Son trait nerveux et souple lui permet de camper des personnages extrêmement expressifs et humains. Il  y a quelques salauds intégraux, mais surtout beaucoup d'êtres humains peu reluisants mais pas nécessairement monstrueux. Juste des humains qui se laissent aller à la facilité dans une période trouble.
A la fin des années 80, Carlos Giménez laisse ces séries en sommeil, avant de les reprendre et les compléter dans années années 2000. De 2007 à 2010, il réalise les 4 tomes des Temps Mauvais, qui se situent lors de la Guerre d'Espagne, avant sa naissance. En exergue de chaque tome, Giménez rappelle que: 
si certains historiens férus de littérature considérait la guerre d'Espagne comme la dernière guerre romantique, pour ceux qui l'ont vécu, il s'agissait simplement de la guerre
La guerre, dans son acceptation la plus crue, la plus violente, la plus aveugle. Le style reste le même. De courts récits qui s'enchaînent, une tragicomédie humaine, avec ces personnages qui se croisent, apparaissent et disparaissent au détour d'une anecdote et, derrière la dénonciation de cette folie, une exaltation de la vie qui continue d'avancer.
L'histoire éditoriale française de Paracuellos et des autres séries qui lui sont attachée est compliquée. Marcel Gotlib découvre très vite Paracuellos, qui doit lui rappeler quelques planches plus intimes qu'il a glissé dans sa délirante Rubrique-à-Brac. Il persuade les éditions Fluide Glacial d'éditer Paracuellos, même s'il semble bien éloigné de la ligne éditoriale du magazine. Deux tomes seront publiés. Le second sera d'ailleurs couronné à Angoulême en 1981. Fluide publiera également un tome de Barrio et les 3 premiers tomes des Professionnels, mais dans un relatif anonymat.
Lors d'un changement de direction, ces séries sont considérées comme trop éloignées de l'esprit fluide et sont laissées en rade. Ce sera grâce à l'arrivée de Thierry Tinlot que germera l'idée d'une intégrale complétée.
En effet, aux 2 tomes de Paracuellos déjà traduits s'ajoutent désormais les 4 tomes réalisés au début des années 2000. Il en va de même pour  Barrio et Les Professionnels, dont les intégrales comportent l'équivalent de 6 tomes. La réédition de Paracuellos aura même les honneurs d'un prix du patrimoine lors de l'édition 2010 du festival d'Angoulême. Et cette année est enfin paru Les Temps Mauvais, édition monovolume des 4 tomes espagnols complètement inédits en français.
Pour conclure, je tiens a mettre en exergue un des tomes "tardifs" des Professionnels. Tout commence par une déambulation sur la Rambla, célèbre artère de Barcelone. Au début, nous suivons Pablo, nouvel alter ego de Giménez, mais rapidement, Giménez se détourne de son "héros" pour se fixer sur un figurant, qui sert de prétexte à une petite tranche de vie, mettant l'accent sur la misère et l'angoisse de la dictature. Puis retour sur Pablo, le temps de se diriger vers un autre quidam, et ainsi de suite. Le scénario est un modèle de fluidité et fait de cet album une merveilleuse peinture de moeurs.


mercredi 3 juillet 2013

De l'importance de la maquette d'un livre, une spécialité anglo-saxonne

Il ne faut pas juger un livre par sa couverture, dit-on.
Certainement pas dans le monde de l'édition francophone. Les couvertures des livres peuvent être au mieux considérées comme sobres, au pire comme austères. le contraste est énorme lorsqu'on regarde les livres édités par les anglo-saxons. Loin de la couverture blanche de Gallimard ou le cadre rigide de la NRF, les couvertures de livres anglo-saxons claquent visuellement. On peut y voir une culture tape-à-l'oeil qui tente de capter le regard de l'acheteur potentiel, une surenchère d'effets vulgaires pour faciliter la vente. Mais n'est pas aussi une manière de déjà intriguer le lecteur dès ce premier contact avec l'objet-livre ? Le résultat peut évidemment être horrible. A titre d'exemple, la comparaison entre l'abominable couverture de l'édition américaine de Freedom, de Johnathan Franzen, et celle, plus élégante, de son édition française.




D'une certaine manière, les anglo-saxons semblent avoir gardé un rapport au livre-objet (voir la note que j'ai consacré à une réédition de Farenheit 451),  et conserve son identité individuelle, là où les francophones y verraient plutôt un produit culturel, qu'il convient de ne pas dénaturer en la salissant d'une image. Une couverture illustrée serait vulgaire, désacraliserait sa qualité littéraire. Effet pervers désiré ou non, le livre se retrouve emballé dans une maquette souvent austère mais aisément identifiable, qui met surtout en avant l'éditeur ou la collection, plus que l'auteur.
L'apparition de couvertures illustrées s'est aussi fait au prix de contraintes un peu ridicules. Manu Larcenet relatait sa désillusion lorsque le dessin de couverture pour un livre de Patrick Cauvin fut massacré par le maquettiste.
Dans une moindre mesure, les collections poche transposent le même comportement. Les couvertures illustrées font leur apparition, mais les collections restent très aisément identifiables. Et souvent, l'illustration de couverture entrent dans le cadre bien précis d'une maquette toute puissante (la bande blanche de Folio ou le cadre crème de Babel). Ironiquement, l'apparition de collection de livres de poche et de leurs couvertures illustrées aura des effets radicalement différents aux USA et en France. Les ligues de vertus américaines s'émurent de couvertures trop explicites, violentes ou chargées sexuellement. Certains intellectuels français condamnèrent une dérive qui  plaçait entre toutes les mains les substituts symboliques de privilèges éducatifs et culturels. Le livre serait donc le  symbole d'une certaine élite qu'il ne faudrait en aucun cas démocratiser.
Le livre dans la culture française est donc bien perçu comme un objet sérieux, privilégié, grave... égayer un livre d'une couverture illustrée, c'était le "salir". Plus le livre est sérieux, plus il se doit d'être austère. Seuls les livres "vulgaires" éprouvent besoin de se faire remarquer derrière une jaquette racoleuse. D'ailleurs, les éditions poches de Marc Lévy sont aisément identifiables  dans les rayonnages de libraire: les couvertures, qui respectent déjà un code couleur précis,débordent sur la tranche. On est loin de la belle uniformité de certains étalages:


D'ailleurs, si vous tapez couverture de livre dans google et la première référence pertinente  concernant le sujet est un article de Slate: Pourquoi en France les couvertures de livres sont-elles si sobres?

Par contre, les mots-clé book cover renvoient à de nombreux de nombreux sites et blogs consacrées à ce sujet. J'avais déjà signalé le design génial d'une réédition de Farenheit 451, mais à travers le site Book Cover Archive, j'ai pu dénicher quelques autres merveilles. Ce site a d'ailleurs la particularité de mettre en avant les designers qui ont réalisés ces couvertures, preuve de l'importance accordée à cette activité.
Tout cela pour montrer quelques couvertures que je trouve particulièrement réussies:
une autobiographie de Charles M Schulz, dont la couverture reprend le motif caractéristique du pull de son héros Charlie Brown (design de Chip Kidd)


Pour celle de Carrie Fischer, la princesse Leïa de Star Wars, qui a survécu à une addiction à l'alcool, une couverture ultra-référencée, qui évoque le texte "trapézoïdal" du générique de Star Wars, et une princesse Leïa affalée sur un comptoir, un verre de cocktail à la main. Tout est condensé en une seul image (par Evan Gaffney)

 Les amateurs de bande dessinée apprécieront la référence (Mark Cozza)


Pour un livre intitulé Faster (plus vite), la notion de rapidité est évoquée par la disparition des voyelles. Simple mais efficace (par Jamie Keenan)


Pour le même livre, Chip Kidd opte pour une autre approche, mais tout aussi efficace


Une autre idée simple mais efficace: un mot du titre remplacé par un dessin (the Crow's vow, design par David Drummond)



Il n'est pas interdit de jouer avec la maquette d'une collection mythique.


Et quelques autres exemples qui me plaisent beaucoup

John Gall

David Drummond

Amy Goldfarb



Même en bande dessinée, on peut retrouver les mêmes tendances, comme avec les éditions de Habibi ou de Louis Riel. Des objets originaux, il ne reste qu'un détail intégré dans une maquette pré-existante rigide