vendredi 18 décembre 2015

Retour sur Brodeck





En cette fin d'année, chacun y va de sa petite liste de ses livres favoris pour l'année qui s'achève. Je ne le ferai sans doute pas moi-même, mais à voir toutes ces listes se succéder on en vient à reconsidérer certains livres qu'on a lu et on se rend compte qu'on est peut-être passé à côté de quelque chose en première lecture.
J'avais parlé de cette adaptation avant même sa sortie, m'interrogeant sur la connection éventuelle avec Blast. Très vite, j'ai nourri un à priori négatif pour ce projet. Les premiers échos me laissaient craindre une adaptation très fidèle, belle graphiquement mais qui n'apporterait peut-être pas grand chose au texte de Claudel. J'étais d'autant plus mitigé que je gardait un excellent souvenir du Journal d'un corps de Daniel Pennac, illustré par Larcenet. Mais dans ce cas, il s'agissait d'illustrations qui servaient à suggérer, accentuer, sublimer les mots de Pennac. Pas à les transposer dans un autre médium.


Finalement, je me suis laissé renté et j'ai acheté ce livre.
La maquette m'a vite déplu. Je trouvais l'objet mal pensé. A tout le moins mal réalisé. J'ai tendance à penser que l'édition française garde une vision réductrice de la maquette. Elle reste un objet esthétique mais possède rarement un rôle narratif. A titre d'exemple, j'ai déjà parlé de cette édition de Farenheit 451, qui intégrait une allumette. Dans le cas du Rapport de Brodeck, l'objet est beau, présenté dans une custode élégante dont le motif peut rappeler les couvertures de cahiers tels ceux que Brodeck noircit pour rédiger son rapport. Mais pourquoi ne pas voir poussé la réflexion jusqu'à proposer un objet qui rappelle vraiment ce type de cahier ? Un livre broché, un papier plus "organique" (ces cahiers dormaient dans un tiroir, ils ne peuvent avoir l'aspect du neuf)... Au lieu de cela, nous avons un beau livre imprimé sur du papier trop lisse, qui intègre un ou deux éléments qui pourraient évoquer la précarité du support initial, mais ce n'est que de la poudre au yeux, Du pseudo-misérable griffé. Un peu comme le "hobo chic".



Je précise que le choix du format à l'italienne est quant à lui  parfaitement justifié.
Quant à mes premières impressions de lecture, elles confirmaient mes appréhensions. Manu Larcenet "dessinateur" signe un grand livre, mais Larcenet "scénariste"se cache un peu trop derrière Philippe Claudel, se livrant à un travail d'adaptation respectueux mais qui ne présente pas un grand intérêt pour celui qui a lu le roman, hormis de belles planches. Il me manquait une vision, la patte de Larcenet.
Déception, donc.
Mais certains détails m'ont progressivement intrigué. Quelques petites choses insignifiantes glissées par Larcenet au fil des pages.
Essentiellement le physique de deux personnages.
Les deux personnages centraux de cette histoire.
Brodeck et l'autre.
A la première apparition de l'Anderer, aucun doute pour moi. Physiquement, c'est Larcenet, avec une bonne vingtaine de kilos de plus. Un Larcenet étrangement solaire. De plus, c'est un peintre, et on peut imaginer que Larcenet, lui prêtant ses traits, se reconnaisse partiellement dans ce personnage. Celui de cet artiste en butte à l'incompréhension des villageois et qui se fait assassiner.
Mais il y a aussi Brodeck. Lui aussi est Larcenet. Un Larcenet usé et amaigri. Mais le doute n'est pas permis pour moi.
Larcenet est à la fois l'artiste, victime expiatoire du village, et le scribe, condamné à soulager la conscience du village en couchant sur papier une confession qui n'est pas la sienne.
Je repense alors à une case, lorsque Brodeck apparaît isolé face à une masse informe de personnages, comme un accusé face à un tribunal. A se rappeler les relations conflictuelles que Larcenet entretient avec les communautés sur internet, c'est à se demander s'il dresse pas un parallèle métaphorique entre lui et ses personnages.


Il ne faut évidemment pas prendre les  choses de manière trop littérale. Mais en relisant ce livre avec cette nouvelle optique, il gagne en épaisseur. Et un livre qui continue d'interroger de la sorte après la lecture démontre qu'il est plus intéressant que je ne l'avais ressenti en premier lieu.




vendredi 11 décembre 2015

Bird Box, un suspense haletant signé Josh Malerman


Cela a commencé par quelques incidents isolés. Des personnes prises de folie subites, qui en agressaient d'autres avant de se donner la mort.  Au début, personne n'a a trop prêté attention. Un fait divers sordide en Sibérie ne devrait pas nous inquiéter. Puis les incidents se sont multipliés. Se sont rapprochés. Et on a commencé à parler du "problème" sans trop savoir de quel nature il était. Les autorités ne savaient pas comment réagir. les théories les plus folles se sont mis à fleurir.
La seule certitude , c'est que quelque chose causait ces crises.
Quelque chose d'inconnu. il suffirait de poser les yeux sur ce "quelque chose" pour la folie s'empare de vous.
Alors les gens se sont cloîtrés chez eux.
Ils ont obstrués toutes les ouvertures, recouvert chaque fenêtre de draps, de couvertures, de carton... de n'importe quoi pour éviter de ne fut-ce qu'entr'apercevoir cette chose qui rend fou.
Et s'il faut sortir, il ne faut surtout pas ouvrir les yeux.
Josh Malerman, pour son premier roman, imagine un monde cauchemardesque, qui puise dans les peurs les plus primitives. Il ne donne jamais d'explication définitive au "problème". Il expose des théories, et préfèrent s'intéresser à ses personnages.
A Malorie, l'héroïne de cette histoire. Au début du roman, elle survit depuis 4 ans dans une maison, avec deux enfants: Garçon et Fille, tous deux âgés de 4 ans. Pour eux, le moment est venu de sortir, d'entreprendre un voyage des plus périlleux. Il faut rejoindre la rivière qui coule à une centaines de mètres derrière la maison, embarquer sur la barque qu'elle a découverte il y a déjà longtemps , descendre le courant sur une distance de 30 km jusqu'à un hypothétique refuge.
Tout cela les yeux bandés.
Durant ce voyage, Malorie se rappelle de ce que fut sa vie durant ces 5 dernières années. Depuis que le "problème" est apparu jusqu'à l'entame de ce voyage.
Excellente surprise que ce roman qui se dévore littéralement. Josh Malerman réussit à captiver dès les premières pages et nous entraîner dans un univers terrifiant. Pas d'effets faciles, si ce n'est une dernière partie qui se perd un peu dans un climax un peu forcé. Beaucoup de tension qui font oublier l'une ou l'autre facilité. parce qu'on ne peut s'empêcher de tourner les pages
On pense parfois à Stephen King.
Au meilleur de Stephen King.
Quand il traduit la paranoïa qui monte.
L'angoisse de l'enfermement.
Le groupe qu'une fêlure commence à séparer.
Qui devient fracture.
Qui devient abîme.
Bird Box se révèle un excellent suspense, addictif et prenant.



Josh Malerman

mardi 8 décembre 2015

David Mitchell: une trilogie "connectée"




Comme pas mal de gens, j'ai entendu parler pour la première fois de David Mitchell lorsque la première bande annonce du film Cloud Atlas des Wachowski et de Tom Tykwer est apparue en ligne. Cette bande annonce hors-norme de plus de 5 minutes avait de quoi intriguer à plus d'un point de vue. De quoi inquiéter aussi, devant certains choix plutôt surprenant comme de faire jouer de multiples rôles aux acteurs, quitte à faire de Halle Berry une blanche lors d'un segment (pourquoi pas) ou d'Hugo Weaving une infirmière (!) revêche dans un autre. Le résultat tenait parfois plus du ravalement de façade que du maquillage. Je n'ai pas vu le film, qui semble susciter des réactions très partagées, entre admirateurs et adversaires. Il fut en tout cas un échec commercial cuisant. Mais son sujet m'intriguait. Je me suis donc intéressé au roman qui l'a inspiré: Cartographie des Nuages (qui fut parmi les finalistes du Booker Prize en 2004).
David Mitchell
Un roman ?
Plutôt un recueil de nouvelles à la structure très particulière. Au départ, ces nouvelles ne semblent pas être reliées entre elles. Qu'est-ce que qui peut bien relier un médecin hollandais en voyage dans les colonies à la fin du XVIIIème siècle, un éditeur londonien de la fin du XXème et un clone dans une Corée futuriste ? Ce que David Mitchell, diplômé de littérature anglaise  qui a enseigné l'anglais pendant 8 ans à Hiroshima, nous dit dans ce recueil, c'est que tout est connecté dans temps.
Chaque histoire influence de manière plus ou moins forte l'histoire qui la précède. Ainsi, le journal que tient le docteur dans la première histoire est acheté par le jeune compositeur de la deuxième histoire, dont la pièce musicale maîtresse sera le morceau préféré de la journaliste de la troisième histoire, et ainsi de suite.
Les relations vont en s'amplifiant, comme dans le principe du battement d'ailes d'un papillon.
Autre originalité formelle, sans doute la plus surprenante, David Mitchell a choisi d'enchâsser ses textes les uns dans les autres. La première nouvelle est interrompue abruptement, laissant la place à la deuxième, qui est à son tour interrompue par le début de la troisième et ainsi de suite jusqu'à ce que la septième nouvelle ne se tienne d'un bloc au centre du recueil et que se termine ensuite successivement les récits 6 à 1. Ce choix peut sembler surprenant mais il entretient l'idée de connections reliant ces histoires, et d'un univers qui se déploie.
Cette idée de la connection entre des histoires à priori indépendantes, David Mitchell l'avait déjà explorée dans son recueil précédent: Ecrits fantômes. Cette fois la connection n'est pas temporelle mais spatiale. la dizaine de récits que composent ce recueil sont tous plus ou moins contemporains, mais se déroulent entre Londres, le Japon, la Mongolie... Pourtant, les destins des personnages se croisent, de manière parfois fugitives, parfois plus significatives.
Dans son ouvrage suivant,Les 1000 automnes de Jacob de Zoet (également finaliste du Booker Prize en 2011), David Mitchell semble remettre en cause ce qu'il a énoncé jusque là.
Dans le Japon de la fin du XVIIIè me siècle, il raconte l'histoire de Jacob, clerc intègre parti chercher fortune dans la COmpognie Hollandaise des Indes Orientales. Il découvre la corruption qui règne dans la le comptoir commercial où il a été assigné et tente d'y mettre un terme.
C'est aussi l'histoire d'Orito, jeune japonaise défigurée qui étudie la médecine.
Ils se croisent.
Jacob en tombe amoureux.
un comptoir commercial japonais en 1800
De là, l'auteur tisse sa toile, suivant alternativement Jacob et Orito. Pourtant, alors que tout est en place pour que cette connection se fasse, il semble vouloir nous signifier que certains mondes ne sont pas faits pour se rencontrer. Au final, ce livre se révèle être composer de deux romans distincts, qui se rejoignent parfois, se séparent, se retrouvent de nouveau mais dont on sent qu'il traitent de deux mondes qui ne peuvent que se côtoyer mais jamais se rejoindre. Situer cette histoire dans le Japon de la fin du XVIIIème siècle , encore isolé mais obligé d'ouvrir certains comptoirs commerciaux, n'est pas innocent. David Mitchell ne pouvait choisir un plus bel exemple de sociétés qui se toisent mais ne se rencontrent pas.
Trois livres très différents qui interrogent la connection entre les gens, sur l'influence qui peut résulter de faits anodins. Paradoxalement, c'est quand les personnages en font le plus pour que quelque chose arrive que cette chose semble inaccessible.
Trois livres que j'aime beaucoup pour des raisons différentes.



vendredi 4 décembre 2015

La Folie de Ziegfeld, perle oubliée des années 80




Je ressors de ma bédetéhèque ce un petit livre étrange et méconnu de la collection X (première époque de Futuropolis, sous l'ère d'Etienne Robial).
Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, ce livre n'a rien à voir avec les Ziegfeld Follies, célébrissimes revues de music hall du début du XXème siècle.
Il s'intéresse à Ziegfeld Horowitz , petit employé sans envergure. Nous ne savons pas grand chose de lui. Célibataire, on l'imagine gratte-papier discret et effacé dans un bureau sans âme. Sans ami, seul, il mène une vie sans relief. Sa seule passion consiste à scruter la vie de Lucie, qui habite en face de chez lui. Le matin, alors que tout-un-chacun ouvre ses tentures, Ziegfeld ferme les siennes. Elles sont percées de deux trous qui lui permettent d'observer Lucie en toute discrétion. Il profite de la douche de cette dernière pour prendre son petit déjeuner afin de ne pas envahir son intimité. Il prend le même bus qu'elle pour se rendre au travail. C'est à ce moment qu'il est le plus proche d'elle. Mais dès qu'elle est descendue, il reprend le bus dans le sens inverse pour rejoindre son travail.
La vie de Ziegfeld est rythmée par celle de Lucie.
Mais un jour, elle se met à remplir des caisses.
Elle va déménager.
C'est un séisme pour Ziegfeld qui craint de la perdre.
Ce résumé pourrait laisser entendre que Ziegfeld est un harceleur voué au pire. au contraire, les auteurs ont voulu y voir une forme d'amour absolu, qui n'a plus besoin de l'autre. Ziegfeld se dissout dans cet amour sans même que Lucie puisse soupçonner son existence. Ziegfeld n'interfère jamais dans sa vie. Il la regarde. Il l'aime follement et secrètement. Il est comme un fantôme.
Ce livre n'a de malsain. Il est traversé d'un sentiment de nostalgie désespérée. Une histoire d'amour à sens unique  ne peut qu'être tragique. La folie de Ziegfeld n'a jamais cette ambiguité qu'avait Parle avec elle, qui débouchait sur un acte impardonnable. La pureté des sentiments de Ziegfeld n'est jamais prise en défaut. Quel qu'en soit le prix à payer.
C'est une folie douce.
C'est une folie triste.
C'est un joli livre, de ceux qui ne s'achève pas une fois refermé.
Une illustration de Gerard Goldman?
Jamais réédité, le livre est encore disponible sur Amazon, comme de nombreux titres de la collection X, laboratoire des éditions Futuropolis qui accueillit des signatures devenues prestigieuses comme celles de Gotting, Stanislas, Jeanne Puchol, Avril, Berbérian ou encore F'murr.
Quant aux auteurs, ils ont publié un autre livre dans cette même collection X (Hocus Pocus) et ils avaient déjà collaboré dans un recueil d'histoires noires, La dernière nuit, paru chez Glénat. Depuis, Olivier Beer, le scénariste, ne semble n'avoir plus rien publié alors que le nom de Gérard Goldman apparaît quelques fois pour des crédits d'illustrations, mais je ne suis pas sûr qu'il ne s'agisse pas d'un homonyme.