mercredi 16 septembre 2015

La fenêtre Ouverte, une court-métrage (en anglais) adapté de la nouvelle de Saki


Certaines nouvelles de Saki, dont je parle dans cette note,  ont été adaptées en court-métrage. je suis tombé sur cette version de La fenêtre ouverte avec l'excellent Michael Sheen. Elle est très fidèle à l'esprit du texte originale. Elle est malheureusement en anglais non sous-titrée.



Hector Hugh Munro, dit Saki, un auteur à redécouvrir d'urgence!



Quand j’étais gamin, j’adorais un livre dans la bibliothèque de mes parents. C’était une anthologie de Jacques Stenberg consacrée aux récits d’épouvante: Les Chefs d’Oeuvres de l’Epouvante. Plus que les nouvelles qui composent ce recueil, c’est d’abord par ses illustrations que ce livre m’a fasciné. La couverture signée JP Gourmelen m’a déjà durablement marqué, mais des années plus tard, je me rappelle encore très distinctement de certaines pages.
Ce livre fut pour moi la porte d’entrée pour de nombreux auteurs. C’est dans ses pages que j’ai croisé pour la première fois Philip K Dick, Guy de Maupassant, Ray Bradbury, Jean Ray, Robert Bloch… et cet auteur au mystérieux pseudonyme: Saki.
Jacques Stenberg avait sélectionné une nouvelle assez perturbante: Gabriel-Ernest, une histoire de loup-garou dont j’ai, très jeune, senti le sous-texte érotique. Je ne savais pas trop si j’aimais ce texte ou non. Mais je ne l’oubliai pas.
Bien des années plus tard, en expédition à la Fnac pour dégotter des livres pour occuper mes séances de lézardes au bord de la piscine en vacances. Mon regard tombe sur Reginald, suivi de Reginald en Russie, de Saki. Je me suis directement souvenu de Gabriel-Ernest et j’ai acheté ce recueil sans réfléchir.
J’ai adoré ce livre et je suis depuis un inconditionnel de Saki. Et je dois reconnaître avoir du mal à comprendre pourquoi cet auteur reste aussi confidentiel.
De son vrai nom Hector Hugh Munro, Saki naît en 1870 en Birmanie, d’un père colonel de l'armée des Indes. Très tôt orphelin de mère, il est élevé par deux tantes acariâtres et autoritaires qui lui garantissent une enfance maussade. Dès la fin de ses études, il regagne la Birmanie où il s’engage dans la police. Il est rapidement contraint de revenir en Angleterre, terrassé par la malaria. Il embrasse alors la carrière de journaliste, en tant que correspondant pour le Morning Post. Dès 1900, il entame en parallèle une carrière d’écrivain sous le pseudonyme de Saki, en référence au poète persan Omar Khayyam. Lors de la première guerre mondiale, il combat en France où il meurt en 1916, en toute fin de la Bataille de la Somme, à Beaumont-Hamel.
Il laisse une oeuvre singulière, marquée par un humour noir, féroce et grinçant, se moquant volontiers de l’aristocratie anglaise. Outre deux romans: L’insupportable Bassington (étrangement mélancolique et pessimiste) et Quand Guillaume vint (une curiosité décrivant l’angleterre sous l’occupation prussienne du Kaizer Guillaume), l’essentiel de son oeuvre tient en plus d’une centaines de nouvelles souvent réjouissantes.


En général n’excédant pas une quinzaine de pages. Elles allient l’efficacité d’un Maupassant à l’esprit “so british” d’un Oscar Wilde. Elles regorgent d’aphorismes et de piques .


“Ne soyez jamais un précurseur : c'est toujours au premier chrétien qu'échoit le plus gros lion.”


“Ne vous attendez pas à ce qu’un garçon soit dépravé tant qu’il n’a pas été envoyé dans une bonne école.”


“Les jeunes ont des aspirations qui ne se concrétisent jamais, les vieux ont des souvenirs de ce qui n’est jamais arrivé.”


“L’art de la vie publique, c’est de savoir exactement où il faut s’arrêter, et d’aller un peu plus loin.”


"Tous les gens bien vivent au-dessus de leurs revenus aujourd'hui, et ceux qui ne sont pas respectables vivent au-dessus du revenu des autres. Quelques individus particulièrement doués réussissent à faire les deux à la fois."

Les sujets de prédilections sont l’enfance et l’aristocratie anglaise. De nombreuses nouvelles mettent en scène la bonne société tournée en ridicule par ses enfants. Pour Saki, l’enfance semble malgré tout se continuer jusqu’à l’âge adulte. Ainsi, deux personnages récurrent, Clovis et Reginald, sont de jeunes hommes qui observent leurs aînés avec une ironie mordante. Ils sont sur le point de faire leur entrée dans la société des adultes, mais se complaisent dans cette période charnière où ils profitent de leur statut de jeunes hommes pas encore introduits dans la vie active tout en étant complètement conscient de l’hypocrisie qui les entourent. L’antichambre de la vraie vie, pourrait-on dire. Leur oisiveté leur laisse tout loisir pour tirer profit de la situation, déjouant les conventions avec une Plaisir évident.
On pourra lui reprocher d’être parfois misogyne, mais c’est aussi un héritage de son époque. Saki est surtout terriblement drôle, s’amusant des contradictions et de l’hypocrise de le “bonne société”. On sent qu’il règle volontiers ses comptes avec ses tantes, qui ne sont jamais, par définition en bonne santé. Il ne ménage pas ces mères respectables qui tentent de marier leur boulet de fils à tout prix, ces hommes stupides engoncés dans les conventions…
Alors que Downton Abbey, qui met en scène à quelques années d’écart le monde que Saki moquait, rencontre un tel succès et qu’approche le centenaire de sa mort, le moment semble idéal pour redécouvrir cet auteur.
Malheureusement, son oeuvre est disséminée un peu partout.
Il me semble que les 3 recueils parus chez la livre de poche représentent l’approche la plus exhaustive de ses nouvelles.
Deux compilations sont parues chez 10/18 et une chez Belfond, qui a également publié son roman L'Insupportable Bassington.
Une intégrale de ses nouvelles en français existe mais il semble que la traduction soit médiocre.
Sinon, l’intégrale de ses textes est disponible chez Penguin Classics à un prix très avantageux. L’anglais n’est pas insurmontable, selon moi.
En tout cas, les vacances sont souvent propices aux découvertes littéraires.
Essayez Saki.
Il convient parfaitement à la lecture pour les navetteurs, pour les longs trajets en avion, sur le bord de la piscine, sur la terrasse… Saki peut sp’apprécier en toute circonstance!



jeudi 10 septembre 2015

Père et fils (Vater und Sohn), de E.O. Plauen (au éditions Warum)



Il faut parfois ruser pour attirer l'attention.
C'est ce qu'a fait Wandrille Leroy, fondateur des éditions Warum, pour promouvoir l'intégrale de Père et fils (Vater und Sohn), de l'allemand Erich Ohser.
Comment faire exister cette réédition d'un classique de la bande dessinée allemande, réalisée entre 1934 et 1937,parue sour le pseudonyme de E.O. Plauen. Si ces planches sont un classique de la littérature pour la jeunesse en Allemagne, comment y intéresser le public francophone ?
En rusant, tout simplement.
 
En mettant en avant la genèse compliquée de cette oeuvre.
Erich Ohser était un illustrateur et caricaturiste renommé en Allemagne. Mais ces prises de positions farouchement opposées au nazisme provoqua sa mise à l'index par le gouvernement. Il réussit pourtant à obtenir le droit de réaliser une série à condition de ne pas parler de politique et d'utiliser un pseudonyme. Il choisit  E.O. Plauen: ses initiales auxquelles il accola sa ville de naissance.
Sur le papier, quoi de plus innocent qu'un père et son fils ?


Et pourtant, un doux parfum de subversion plane sur ses pages. Le père, rondouillard et chauve, est loin de l'idéal aryen. Père et fils sont volontiers farceurs et rêveurs, ce qui contraste avec la dureté de l'époque. Mais il y a aussi une certaine gravité qui traverse ces strips, comme si l'auteur n'arrivait pas, ne voulait pas faire abstraction du contexte.
Vater und Sohn rencontra un succès fulgurant, avant que l'auteur ne décide d'y mettre un terme pour éviter qu'elle soir récupérée par le régime. Il continua de travailler, mais en continuant d'affirmer son opposition au pouvoir, il sera finalement arrêté en 44. Il se suicidera en prison la veille de son procès.
Le destin tragique de Erich Ohser offre un bel angle d'attaque pour les journalistes et les libraires. Cela a grandement augmenté la visibilité de ce beau livre, qui a bénéficié de nombreux articles dans des journaux comme  Le Monde, Les Inrocks...
Mais tout cela ne doit pas nous éloigner de l'essentiel.
Pourquoi Wandrille Leroy a-t-il tenu à éditer cette intégrale ?

Simplement parce que, malgré leurs 80 ans d'âge, les strips de Erich Ohser restent d'une fraîcheur, d'une poésie et d'une tendresse rare. C'est finalement ce qu'il faut retenir: la délicate musique qui émane de ces petites histoires.
Plus étonnant encore, mon gamin de 5 ans et demi me demandait ce que je lisais. je lui ai montré quelques pages et il a directement accroché. Depuis, il reprend régulièrement Père et fils pour le lire. Je le vois rire aux éclats des facéties des 2 personnages.
C'est sans doute là le plus bel hommage rendu à Erich Ohser: que 80 ans après sa création, son oeuvre continue de faire rire des enfants et des adultes. Et sans la petite ruse de l'éditeur, je serais sans doute passé à côté de cette petite perle.

lundi 7 septembre 2015

D'argile et de Feu, d'Océane Madeleine, Prix Première 2015






Je suis un point qui marche

Dès les premiers mots, d'Argile et de Feu intrigue et emporte.

Céramiste et écrivain, Océane Madeleine, dont c’est le premier roman, y conte les destins croisés de deux Marie.

Marie d’aujourd’hui, femme meurtrie qui fuit, marquée par une tragédie qui a détruit son enfance.

Marie d’hier, Marie Prat, enfant bâtarde d’un potier de renom qui décida, en plein XIXème siècle, de braver les traditions pour marcher sur les traces de son père et devenir elle-même potière.


Marie d’aujourd’hui, au fil de son errance, échoue sur les terres de Marie Prat. Elle va y découvrir la vie de cette femme. Son oeuvre. Et au travers de son histoire, va se reconstruire.

Pour ce premier roman très bref mais dense, Océane Madeleine rend tangible son amour de la terre. La céramique, c’est travailler l’argile et, grâce au feu, faire naître quelque chose d’une matière qui semble inerte.
Le feu est autant purificateur que géniteur.

Le danger dans ce genre de roman est qu’il se perde dans une symbolique trop présente. Que les intentions étouffent le propos. D’une certaine manière, le déroulement de cette histoire est cousu de fil blanc. Sans déflorer la fin, il est clair que ce récit ne peut que raconteur la guérison de Marie. Ce qui fait la réussite de ce roman, c’est la manière dont l’auteur manie les mots, joue des images, transmet sa passion du mariage du feu et de l’argile.

L’écriture est pure et subtile, jouant habilement des signes sans se perdre dans un lyrisme agaçant.


Je suis un point qui marche


6 mots simples qui en disent pourtant long sur Marie.
Un très beau premier roman qui s’est impose très vite comme le lauréat du Prix Première, auquel j'ai eu la chance de participer en tant que membre du jury de cettte édition.

vendredi 4 septembre 2015

Visitations, de C.S. Morse




Voici un livre peu connu qui m’a toujours laissé une étrange impression.
Je l’avais acheté, séduit par le graphisme très particulier de C.S. Morse (qui signe Scott Morse sur la réédition), sans rien savoir du sujet. Il se dégage une certaine chaleur de ce trait rond au trait délié. L’auteur démontre aussi une belle maîtrise en terme de composition et propose une narration très fluide.
Par contre, le sujet de ce livre me laisse plus circonspect.
Dans le préface, l’auteur confesse sa fascination pour les fantômes et les esprits. Mais il regrette que, trop souvent, les esprits qui apparaissent dans les histoires soient malveillants. Ainsi est née son envie de réaliser ce recueil mettant en scène des esprits bienveillants. Pour Scott Morse, cela semble impliquer exclusivement l’imagerie chrétienne des anges et de la Vierge.


Dans Visitations, une femme dévastée entre dans une église, espérant s’y isoler. Survient le prêtre qui engage la conversation. Lorsqu’elle émet des doutes sur l’existance de Dieu, le prêtre entreprend de la détromper. Il saisit le journal du jour et prend le pari de trouver l’influence divine dans 3 articles qu’il choisira au hasard. Ce mécanisme narrative repose sur une vieille recette de la fiction prosélyte: un sceptique, de préférence en détresse et/ou en colère, face à un croyant, évidemment heureux, qui lui apporte le réconfort en démontrant l’existence de Dieu-qui-est-amour.
La ficelle est éculée et s’accompagne d’une démonstration lourde et naïve. J’étais alors tenté d’abandonner la lecture, peu intéressé par le prêchi-prêcha qui s’annonça. Mais puisque le livre était court, j’ai continue la lecture sans guère d’illusion. En effet, les deux premiers récits sont poussifs et maladroits. Au commencement de la dernière histoire, j’étais résigné. C’est alors que dans son ultime pirouette, Morse m’a pris par surprise. Si sa chute est cousue de fil blanc, elle amène parfaitement la conclusion qui est plus ambiguë que je ne le craignais. Je me suis même senti sincèrement ému, d’autant plus que Morse y renonce un temps à ses bondieuseries: plus d’anges nimbés de lumière, plus de vierge en larmes… Morse s’y montre même subtil et suffisamment mystérieux pour laisser la Grande Question en suspens, préférant en finir sur une note intime et pudique.


A vrai dire, je ne comprends pas vraiment où l’auteur veut en venir. Sa conclusion ne semble pas cohérente avec ce que le livre semblait être au départ: un récit édifiant de rédemption chrétienne (la “renaissance” des born again Christians). Mais la maladresse des premières histoires déforce la dernière.
Et pourtant…
A chaque relecture, je me surprends à sentir de nouveau cette émotion qui m’avais saisi la première fois. Pourtant, l’effet de surprise ne joue plus.
Pourquoi Visitations me touche toujours autant ?
Je ne saurais le dire. Mais c’est sans doute parce que, malgré ses maladresses, C.S. Morse a du talent.

 Je pourrais comparer l’effet que me fait Visitations à Dancer in the dark. Lars von Trier, malgré de belles fulgurances, réalise un film que je trouve inégal, parfois outrancier, voire ridicule, et alors que je n’en pouvais plus des larmoiements hystériques des dernières scènes, il réussit subitement à suspendre le temps et me bouleverse. A croire que toutes les outrances du film ne servent qu’à sublimer cette dernière scène, cette chute vertigineuse et magique. Dans mon souvenir, les gens sont restés assis Durant le générique de fin, alors qu’en général, dès que le générique commence, le public quitte la sale. Mais pas cette fois. Les gens restaient collés à leur fauteuil, comme pour reprendre leur souffle, comme s’ils ne voulaient pas rompre le charme. Lars von Trier est talentueux (et roublard). Il est très possible que ce soit délibéré.

C.S. Morse ne me semblait pas avoir cette maîtrise. La réussite (partielle) de Visitations tient plus de “l’accident heureux”. Il n’a d’ailleurs pas vraiment confirmé les attentes que pouvaient susciter ce livre. Il a collaboré à plusieurs franchises (Elektra, Catwoman, Sam & Twitch, Hellboy…) sans que son nom ne gagne en notoriété. Il travaille également dans le domaine de l’animation, pour Pixar (entre autres sur le court-métrage Your Friend the Rat qu’on retrouve sur le DVD de Ratatouille) et Cartoon Networks (Samourai Jack).