vendredi 28 février 2014

Fritz Haber de David Vandermeulen: une plongée dans les racines de la folie du XXème siècle


David Vandermeulen réalise également en solo l'excellente série Fritz Haber, personnage-clé de la science et de l'histoire contemporaine. Prix Nobel de chimie en 1918 pour ses travaux sur la fixation de l'ammoniac, indispensable pour la fabrication d'engrais chimiques et d'explosifs, il est aussi considéré comme le père de la guerre chimique. Si le sujet semble austère, Vandermeulen réussit une série dense et fascinante qui expose les racines de la folie du XXème siècle. Souffrant des discriminations liées à ses origines juives, Fritz Haber passera sa vie a tenter d'être reconnu comme un patriote allemand, quitte à sombrer dans l'ultra-nationalisme le plus sombre. 
Vandermeulen y met en scène une société où le racisme et l'antisémitisme s'expriment librement  (voir le génocide des Hereros) alors que le sionisme se développe et se structure. Il y montre comment les mondes de l'industrie et de la recherche, animés d'un sentiment ultra-nationaliste exacerbé mêlé d'un appât du gain, mettent à disposition toutes leurs ressources pour soutenir l'effort de guerre de toutes les manières possibles.
Pour compléter la lecture, les éditions Delcourt proposent un site qui éclaire les aspect historiques et scientifiques de la série alors que David Vandermeulen anime un blog qui s'intéresse plus au travail créatif sur la série.



mardi 25 février 2014

La Passion des Anabaptistes d'Ambre et Vandermeulen





Comment donner envie de lire cette Passion des Anabaptistes d'Ambre et David Vandermeulen ?
Comment rendre séduisant un objet aussi radical dans la forme et le fond ?
Radical dans la forme parce qu‘en revisitant l'histoire des révoltes paysannes qui ont secoués l'Alsace entre 1493 et 1536, les auteurs ont voulu créer un objet qui rappelle les livres d'époque. Imprimée dans un format que l’on imagine plutôt pour les tirages de luxe, les planches d'Ambre s'inspirent directement du travail des graveurs allemands de l'époque, comme Dürer.


 


Les auteurs refusent ainsi l'utilisation du phylactère, alors qu'un soin particulier a été apporté aux polices de caractères et à l'usage de lettrines, pour coller à l’esthétique supposée d’un livre du XVIe. Les textes et la psychologie des personnages même ont été conçus en essayant de respecter au maximum à la réalité de l'époque.
Le rapport de l'image et du texte s'en trouve chamboulé, certaines séquences muettes, comme la conversion de Luther, ne devenant intelligibles que par la lecture de longs textes de Vandermeulen quelques pages plus loin.
Ce livre relève d'une vraie réflexion sur la bande dessinée. Elle refuse le formalisme qui la caractérise trop souvent pour oser explorer des champs souvent négligés. Pour les auteurs, la forme fait partie intégrante du projet. Il faut donc que cette forme soit en adéquation avec le sujet.
Si les auteurs ont choisi de créer un objet aussi radical dans la forme, il faut que le fond respecte le même niveau d’exigence. Ambre et Vandermeulen ne choisissent effectivement pas la facilité, se frottant à une période historique méconnue et pourtant édifiante. Les lectures de l’introduction et de la postface sont d’ailleurs indispensables pour saisir les enjeux ce cette histoire.
Les révoltes paysannes qui secouèrent la région de Munster au début du XVIe siècle se révèlent être bien plus qu'un micro-événement historique. Les revendications des Anabaptistes, mouvement sectaire protestant et nationaliste, expriment, outre l'aspect religieux et philosophique inspiré de la Réforme Protestante, une pensée qu'on peut qualifier de proto-communiste. En effet, ils réclamaient rien moins que la fin du servage, la fin de l'oppression justifiée par une justice divine et une réduction des taxes. Leur idéologie mélange modernité sociale et traditionalisme religieux (qu'on pourrait qualifier de réactionnaire de nos jours). Elle fut associée à l'esprit de la Réforme Protestante, avec laquelle elle possédait en effet quelques points communs, dont l'opposition féroce à la Papauté et ses excès, mais son radicalisme et son inflexibilité va l'isoler jusqu'à l‘anéantissement. Elle fut, en outre, rapidement trahie par Martin Luther, qui finit par condamner violemment toute forme de révolte envers son seigneur, ce qu'il assimilait à une révolte contre Dieu.
Les Anabaptistes prônaient la révolte armée contre les puissants, Luther a préféré pactiser avec eux. L'ombre de Luther, inspirateur et fossoyeur de cette étrange insurrection, plane donc sur l'histoire des Anabaptistes. Ce n'est pas étonnant qu'Ambre et Vandermeulen aient choisi de suivre en parallèle le destin de Martin Luther et celui de Joß Fritz, qui fut l'un des meneurs de ces révoltes paysannes.
Comment donner envie de lire un livre qui cherche si peu à séduire, entre une thématique ardue et une esthétique austère ?



Parce que j'ai aimé ce livre malgré, ou plutôt grâce à son radicalisme. Parce qu'il ose se démarquer et qu'il est réussi. Je suis admiratif de voir qu'une telle entreprise est encore possible, surtout sachant qu'il s'agit du premier volet d'une trilogie (la suite se fait attendre, mais les auteurs promettaient des nouvelles sur le tumbler consacré à la série). J'aime constater qu'il existe encore de la place pour des livres exigeants et difficiles.
Il ne plaira pas à tout le monde. 
Il ne plaira sans doute pas à grand monde, pour être honnête.
Mais il ne cherche pas à plaire.
Il existe, c'est tout ce qui compte.
Il y a des lecteurs qui vont l'aimer. J'en fais partie.
Et j'espère en convaincre l'un ou l'autre. Au moins d'essayer.

jeudi 13 février 2014

La minute de bonheur





Ma vie est calme, linéaire, sans relief. Mais malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à m'ennuyer. Car pris singulièrement... chaque jour est unique. Chaque heure est exceptionnelle. Chaque minute est sublime.


Cette phrase illustre parfaitement le propos de ce petit livre paru dans la collection Patte de Mouche de l'Association. Cette collection (ou d'autres comme la collection Lymphe d'Atrabile) qui joue sur un format réduit (format A6 et pagination limitée à 24 pages) impose la contrainte de la brièveté aux auteurs. De ce fait, elle rescussite un plaisir devenu rare en bande dessinée, et dans la création artistique en générale: le plaisir d'une simple bouffée de lecture.
La bande dessinée s'intéresse de moins en moins au format court, préférant les récits complets ou les séries qui s'étirent sur X épisodes. Le plaisir des petites histoires de quelques pages reste rare et souvent cantonné à l'humour. La collection Patte de Mouche permet aux auteurs Loo Hui Phang et Jean-Pierre Duffour nous convie a une leçon de vie toute simple.
La vie peut sembler d'une pesante monotonie, mais elle regorge de petits instants de bonheur. Il ne tient qu'a nous de ne pas les laisser s'échapper. Le secret réside donc dans la fragmentation. Une vie ne serait rien moins qu'une succession de minutes exceptionnelles. En guise d'exemple, Loo Hui Phang et Jean-Pierre Duffour nous parlent de la meilleure manière de manger les petits beurres, de l'émoi que peut générer la vue de la nuque d'une femme et d'autres petits autres bonheurs que l'on néglige trop souvent.
Cette charmante "Patte de Mouche" opte pour un style graphique ouvertement simpliste, pour ne pas dire régressif, allant à l'essentiel afin de toucher le lecteur.
Et les petites phrases de Loo Hui Phang semblent nous murmurer des petits secrets que nous nous surprenons a déjà connaître, mais dont nous n'avions pas conscience.