mardi 13 septembre 2016

Brune, le faux départ d'Emmanuel Guibert



Brune paraît aux éditions Albin Michel en 1992.
Il s'agit du premier livre d'Emmanuel Guibert, un jeune auteur encore inconnu adoubé par Tanino Liberatore. Il s’est depuis imposé comme l’un des auteurs les plus intéressants des années 2000 avec des oeuvres aussi marquantes que Le Photographe et La Guerre d’Alan, tout en scénarisant des bandes dessinées pour enfants comme Les Sardines de l’Espace.
En ouvrant Brune, on peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas d'un homonyme tant le style est différent, presque diamétralement opposé. Ce livre semble tellement à part dans sa bibliographie que je n’hésiterai pas à le considérer comme un faux départ pour Guibert.
Ranx, de Liberatore
Il convient de remettre la réalisation de ce livre dans son contexte. Emmanuel Guibert est un jeune auteur repéré par Tanino Liberatore, créateur de Ranx. Grâce à ce parrainage, il rejoint Albin Michel et s’attelle à la réalisation de Brune. Il reçoit un scénario qu’il n’apprécie pas qu'il retravaille tant bien que mal. Quant au dessin, il s’enferre dans un style ultra-réaliste similaire à celui de son mentor. Guibert reconnaît lui-même dans un entretien avec Gilles Ciment (merci à Mr Switch de m’avoir dirigé vers cette interview) tous les regrets qu'il nourrit quant à ce livre, qu'il renie à demi-mot:


Dans une Brune, tout – les anatomies, les perspectives… – cherche à affleurer à la surface, à prendre sa place : il est clair que je ne me sens à l’aise avec rien de tout cela, je me sens incapable de m’en sortir, tout en ayant une fringale de le faire. Donc j’essaye de tout border, au détriment de ce que je raconte. Puis vient le moment où cette nécessité se fait moins forte parce que l’essentiel se dégage, en l’occurrence la nécessité de raconter bien une histoire et parce que votre dessin, s’il a bien évolué, vous sert dans ce propos en allant plus naturellement à l’essentiel.

A la lecture de cet album, et sans connaître les conditions de sa réalisation, je dois reconnaître avoir été extrêmement surpris de voir le nom de Guibert associé à ce livre. Le scénario s’attache à quelques événements-clés de la montée du nazisme, culminant avec l’incendie du Reichstag. Là où le bât blesse, c’est que le scénario se perd dans cette très mauvaise idée de faire d’Hitler une forme de Faust inspiré par un mystérieux ami politique du nom de Hinkefuss (qui peut se traduire par “Pied Boîteux”). "Mein Kampf" serait même un livre remis par le Diable lui-même à Hitler. Je n’y vois personnellement qu’une allégorie niaise et facile. La narration elle-même paraît empesée, sans que j’arrive à me dire si ce livre est sensé être un one-shot ou un premier tome tant il semble n’être qu’une mise en place, laissant ses personnages en plan sans que rien ne se soit réellement passé.

Graphiquement, on sent Guibert batailler avec un style qui ne lui est pas naturel. Il semble écrasé par un part-pris ultra-réaliste qu’il ne maîtrise pas. Techniquement, je dois reconnaître que le résultat est intéressant, surtout considérant qu’il s’agit d’un premier tome. Mais cette approche ultra-réaliste me semble très datée, froide et raide. En tout cas, elle est à 1000 lieues de l’épure lumineuse qui caractérise Guibert depuis. Son dessin a gagné en légèreté et en dynamisme. Il n’y a guère que quelques techniques de mise en page que l’on peut trouver en commun entre Brune et La Guerre d’Alan. Pour le reste, il n’y a rien de commun.
Emmanuel Guibert aurait mis 7 ans à réaliser Brune, alternant avec des travaux d’illustration et de storyboarding. Après cette expérience éprouvante, il rejoint l’Atelier Nawak en 1994 où il cotoye Joann Sfar, Christophe Blain, Emile Bravo, David B, Frédéric Boilet, Fabrice Tarin, Hélène Nicoux et Tronchet. Au fil des années et des projets de collaborations avortées, Guibert s’affute et finit par illustrer La Fille du Professeur, sur un scénario de Sfar. En parallèle, il rencontre Alan et commence à recueillir ses souvenirs.
La suite est connue.
Et pourtant, au vu de ce premier livre boursouflé, il était difficile d’imaginer que Guibert puisse s’imposer comme l’auteur qu’il est.
Un faux départ, vraiment.

samedi 3 septembre 2016

NSFW: Black Hole de Ruppert Sanders d'après Charles Burns





L’un de mes premiers chocs lorsque je retournai à la bande dessinée après quelques années de désintérêt fut Black Hole de Charles M Burns
Cet étrange récit mêlant angoisse adolescente et film d'horreur suit un groupe de personnages confrontés à la "peste ado", une MST qui provoque des malformation hideuses chez les malades.
Certains se cachent, allant parfois jusqu’à trouver refuge dans la marginalité.
D'autres tentent de dissimuler leur affliction.
Toute ressemblance avec le SIDA n'est probablement pas fortuite.
L'adaptation cinématographique a été plusieurs fois annoncée, mais n’a pas abouti jusqu’à présent. Le succès de Ghost World d’après Daniel Clowes semble avoir été à l’origine de l’intérêt des studios. Mais le projet semble avoir souffert de la schizophrénie hollywoodienne qui s’intéresse à un projet parce qu’il est atypique avant de s’efforcer de le faire correspondre à des produits existants.
Black Hole présente certaines caractéristiques des films d’horreur pour les ados, tout en possédant une ambiance tellement dérangeante qu’il semble incompatible avec le cinéma de genre.
Projet arty pour cinéphiles ou produit popcorn pour ado friands de frissons faciles?
Le projet est passé entre les mains d’Alexandre Aja en 2006 avant d’être repris par David Fincher en 2008. Roger Avary et Neil Gaiman travaillaient sur un scénario qui a été refusé par David Fincher. Depuis le projet est au point mort, même si Fincher détient toujours les droits sur Black Hole. Le projet de long-métrage serait toujours d’actualité, mais sans autre précision.
En fouillant sur le net, on trouve un court-métrage signé Rupert Sanders, plus connu pour avoir eu une aventure avec Kirsten Steward que pour sa filmographie. Sa vision de Black Hole n’était pourtant pas inintéressante. Dans ce qui ressemble à un condensé de ce que pourrait être un éventuel long-métrage, il compose en de 11 minutes un kaléidoscope d’images qui traduisent intelligemment le malaise généré par les pages de Charles M Burns.

Ce court-métrage est visible sur le site de Rupert Sanders ou sur la plateforme Vimeo. Il est terriblement NSFW.