mercredi 30 janvier 2013

Aire Libre


En ressortant Le bar du vieux français de Jean-Philippe Stassen et Denis Lapière de ma bibliothèque, je me suis rendu  compte que je n'ai pas encore parlé de la collection Aire Libre, qui a pourtant joué un rôle important dans ma découverte de la bande dessinée.
Aire Libre est née en 1988 sous l'impulsion de Jean van Hamme, alors directeur éditorial.  A travers cette collection, dévolue aux one-shot et cycles courts, ainsi que le label Repérages, plus tourné vers la bande dessinée d'aventure, il désirait insuffler un renouveau au sein d'un catalogue surtout orienté jeunesse et humour.
Pendant plusieurs années, Aire Libre s'est imposée comme une véritable référence de la bande dessinée mainstream. Aire Libre n'était pourtant pas la première collection à avoir joué cette carte.  (A Suivre) est le premier exemple qui vient à l'esprit. Cette entité qui donnait l'impression d'être quasi indépendante de Casterman a longtemps incarné le fer de lance de la bande dessinée  de prestige, qui s'affranchissait de l'encombrante image des petits micquets. Et il ne faudrait pas négliger la collection Histoires et Légendes du Lombard qui a accueilli quelques grands titres dont le premier triptyque indien de Derib: Celui-qui-est-né-deux-fois ou Rork d'Andréas. Un des titres-phares de cette collection se trouvait être Histoire sans héros, déjà signé van Hamme sur un dessin de Dany (et réédité depuis dans la collection "héritière" Signé). D'autres éditeurs moins connus ont également tentés l'aventure des cycles courts et des albums uniques, mais sans jamais avoir la force de frappe de Dupuis.

Un excellent one-shot inspiré du 'miracle des Andes'
Une des rares contraintes imposées aux auteurs fut une pagination limitée à 80 pages par volume (hors intégrale), pour conserver un prix de vente attractif. Ce n'est que dernièrement qu'Aire Libre a dérogé à cette règle avec les épais Portugal de Pedrosa et Chère Patagonie de Jorge Gonzalez.
 Les grands rivaux de Dargaud et de Lombard lancèrent  respectivement Long Courrier et Signé, pour contrer la machine de guerre Aire Libre, mais ils ne réussirent jamais à lui disputer le leadership dans ce créneau, malgré des catalogues intéressants. Comment expliquer le succès sans partage d'Aire Libre ? Sans doute par une maquette très réussie qui a donné immédiatement une identité visuelle forte à ses livres ainsi qu'à une politique éditoriale intelligente qui a su attirer les signatures prestigieuses parmi lesquelles celles d'auteurs devenus habitués de la collection (Servais, Stassen, Lax, Gibrat, Hermann, Cosey...) et ponctuellement celles d'auteurs venant d'autres horizons éditoriaux (Guibert, Blain, Baru, JC Denis, Blutch, Davodeau...).



Il faut bien reconnaître que, dès le début, Aire Libre a fait un quasi sans faute, multipliant les bons titres. En ouverture, René Hausman (associé à Pierre Dubois) pour la suite de Laïyna, Cosey avec le très beau diptyque Voyage en Italie, Van Hamme & Griffo avec SOS Bonheur et le premier volume de La guerre éternelle de Marvano, d'après Joe Haldeman, qui combinait l'originalité d'être une adaptation de roman, pratique assez rare à l'époque, et de traité d'un sujet fort et politique: une dénonciation de la guerre fortement marquée par le trauma de la guerre du Vietnam.


Par la suite, Aire Libre s'est construit un catalogue quasi irréprochable... et a cultivé une image de collection exigeante doté d'un certain regard sur le monde. A l'époque, je dois admettre que j'achetais presque tout ce qui sortait chez Aire Libre, sur la simple confiance en la ligne éditoriale de la collection, dirigée par Claude Gendrot.  Je pense être loin d'être le seul.


Mais au fil des années, les nouveautés me surprenaient de moins en moins. Aire Libre s'est progressivement enfermé dans un style, une esthétique, des ressorts narratifs de plus en plus marqués. Ce qui était nouveau lors du début de la collection paraissait de plus en plus commun. Aire Libre voulait se différencier d'une norme. Elle est devenue une nouvelle norme, malgré une volonté évidente de renouvellement, ouvrant son catalogue à des auteurs représentatifs de la nouvelle génération.

Puis, en 2006, vint le cataclysme avec le licenciement brutal de Claude Gendrot, suite à un conflit interne extrêmement violent entre Média Participation et Dimitri Kennes, alors directeur général chez Dupuis. Claude Gendrot rejoint la nouvelle structure Futuropolis et Aire Libre est repris en main par Jose-Luis Bocquet. Mais quelque chose s'est cassé. De nombreux auteurs, dont Gibrat et Lax, quittent Aire Libre et rejoignent leur ancien directeur éditorial chez Futuropolis, ce qui fait dire à beaucoup c'est dans leur catalogue que l'âme d'Aire Libre se trouve maintenant.

Aire Libre continue d'exister, mais je dois reconnaître qu'elle n'a pour moi plus l'aura qu'elle avait. Déception de l'avoir vu victime de ce règlement de compte interne ? Lassitude devant une audace qui se faisait de plus en plus rare ? A l'exception du tome 3 de Zoo et de Minik, qui m'ont été offerts, le dernier Aire Libre que j'ai acheté est le dernier tome du Photographe, en 2006. Sans doute quelques livres pourraient me plaire,  comme Portugal de Pedrosa , La Grande Odalisque de Vivès & Ruppert/Mulot et quelques autres. Mais, dans l'ensemble, je suis passé à autre chose


Reste une collection qui a compté, et compte toujours, sans doute, et qui possède quelques très bons titres. Sans vouloir pondre une  liste de plus de titre définitifs, je terminerai en citant quelques livres, pas nécessairement les plus connus, qui me plaisent tout  particulièrement.






Le réducteur de Vitesse, de Blain


mercredi 23 janvier 2013

La Légende des Sambre, par Yslaire




Alors qu'il dormait dans ma bibliothèque depuis 2003, je me suis enfin attaqué à la Légende des Sambre, gros livre d'entretiens avec Bernard Yslaire, réalisés par Jean-Luc Cambier et Éric Verhoest.
Pour remettre ce livre dans son contexte, il est paru en même temps que   Maudit soit le fruit de ses entrailles..., le premier tome du deuxième cycle de cette fresque tragique initiée par Yslaire et Balac/Yann au début des années 80. Le dernier tome du premier cycle de Sambre, Faut-il que nous mourions ensemble..., était paru 7 ans auparavant, annonçant cette suite. Mais sans nouvelle depuis, beaucoup doutaient de la reprise de la série, d'autant que le premier cycle offrait une fin en soi.
Depuis 1996, Yslaire s'était consacré à son autre grand projet, Mémoires du XXème Ciel/XXème Ciel.com. Dans cette série au concept avant-gardiste, il avait l'ambition d'explorer le siècle en train de s'achever à travers le regard d'un ange. Ce projet lui permettait d'expérimenter de différentes manières. Il  avait couplé la réalisation  de cette série à un site internet éphémère où les lecteurs pouvaient poster leurs impressions, idées et critiques (qui seront nombreuses et souvent injustes, se moquant de la "prétention" du projet). Il y utilisait également une nouvelle manière de travail, commençant par composer des cases qu'il montait ensuite, créant le scénario a posteriori. Un projet un peu fou, mal né chez Delcourt avant d'être repris, et sauvé, par les Humanoïdes Associés.

Pour mémoire, la série devait suivre la fin du siècle comme un compte-à-rebours et s'achever en 2000. En retard dès le départ, une introduction un peu bâtarde (et partiellement reniée par l'auteur lui-même) sera publiée en 97, avant le "vrai" premier tome qui paraît en 99, soit avec deux ans de retard sur le planning. Puis, la série est "échangée" contre le Monde d'Arkadi, de Caza. Autant de signes qui laissaient présager un échec cuisant pour Yslaire. Mais le passage chez Humanos remettra le XXème ciel sur les rails et au moment de la publication de la Légende des Sambre, Yslaire travaillait au troisième et dernier tome de ce projet (qui paraîtra en 2004 et sera finalement double). Je reparlerai sans doute de cette série. Si elle est mal aimée et sans doute en partie inaboutie, elle reste extrêmement intéressante.
Avant de boucler l'aventure du XXème ciel, Yslaire publie donc en 2003 Maudit soit le fruit de ses entrailles..., premier tome du second cycle de Sambre, accompagné d'un remaquettage complet de la série. Sambre renaît de ses cendres, et ce livre d'entretiens propose à la fois un bilan du travail accompli et expose les intentions d'Yslaire pour la suite de sa fresque. Il ne fait pourtant pas encore allusion à la Guerre des Sambre qui, depuis 2007, est consacrée aux générations qui ont précédés Julie  et Bernard, les amants du premier cycle.
Ce genre d'ouvrage m'intéresse rarement. Les questions sont souvent d'une confondante banalité et rares sont les auteurs ou les oeuvres capables d'intéresser au delà de l'interview promotionnelle basique. Mais Yslaire a suffisamment d'intelligence et de recul sur son travail pour passionner et Sambre est une oeuvre suffisamment riche pour susciter la réflexion, que ce soit sur Sambre en tant qu'oeuvre où sur la création en général. Au fil des pages, nous découvrons comment Hislaire et Yann ont voulu se libérer de l'étiquette d'auteurs humoristiques qu'ils devaient à leur travail dans Spirou pour créer Sambre. Un commentaire de Yann préfigure d'ailleurs les limites qu'il montrera plus tard en tant que scénariste humoristique: pratiquer le comique iconoclaste et provocateur devient vite une voie sans issue, parce que cela implique une surenchère constante. Cette libération passera d'ailleurs par l'utilisation de pseudonymes.
Nous découvrons également le fonctionnement de leur collaboration et ce que la série doit à l'un et à l'autre. Il faut reconnaître qu'Yslaire ne tente jamais de tirer le couverture à lui, malgré la fin orageuse de cette collaboration.

En nous faisant pénétrer les coulisses de la création de Sambre, Yslaire attire notre attention sur une foule de détails, dévoilent des moments-clés du processus créatif, comme la fameuse scène de la crypte du premier tome. D'abord fortement dialoguée, mais qui, à force de réécriture, devint quasi muette. Elle représente surtout une terrible période de doute pour Yslaire.
Au détour d'un jupon, nous y apprenons comment son approche de la documentation a évolué. Au départ, il la considérait comme un frein. Poussé par Laurent Vicomte, il commence pourtant à lui porter une attention toute particulière. Pour Yslaire, Sambre n'est pas un téléfilm, mais une super production. Certains détails paraissent infimes et restent sans doute invisibles aux lecteurs. Pourtant, ces derniers les ressentent d'une certaine manière. Ce soin extrême se voit sur la planche.


Yslaire nous apprend aussi comment la série lui a échappé, comment Julie en est devenue l'héroïne. Il explique également comment ce que nous voyons n'est que la partie émergée d'un énorme travail de fond, que des pans entiers du scénario entière furent supprimée, mais dont l'influence reste pourtant perceptible dans le scénario final. Par exemple, des planches entières de dialogues entre Valdieu et Rodolphe furent écrites. Elles détaillaient leurs visions politiques et leur relation. Si elle ne   figurent pas les albums, elles furent pourtant indispensables à l'auteur pour donner de l'épaisseur à ces personnages.
Yslaire décortique aussi de nombreuses planches, que ce soit au niveau de la mise en page ou d'éléments graphiques moins anodins qu'il n'y paraissent (le motif de l'oie, associé à Julie, utilisé plusieurs fois dans les deux premiers tomes). En mettant en avant ce travail de réflexion, il expose les rouages délicats d'une mécanique complexe et délicate. Il fait ainsi prendre conscience d'une foule de détails que le lecteur avait inconsciemment enregistré et intégré dans la grille de lecture de Sambre. Paradoxalement, en explicitant ainsi son travail, Yslaire ne le déforce pas, mais en renforce le côté mystérieux.
Malheureusement, tout ce gigantesque travail de fond ne semble pas s'appliquer sur la Guerre des Sambre (6 tomes parus depuis 2007, d'abord dessiné par Bastide & Mézil pour le premier cycle, puis par Boidin pour les second cycle et le troisième cycle, encore  à paraître). En explorant le destin des ancêtres des protagonistes de cette fresque, Yslaire approfondit les thématiques abordés dans sa fresque, mais le scénario n'a plus cette fluidité et cette richesse qui fait la caractéristique de Sambre. Si les deux cycles parus sont très plaisants, il ne peuvent rivaliser avec la série-mère, tant celle-ci relève du chef d'oeuvre. L'inévitable comparaison est cruelle.
Sambre s'impose clairement comme une des séries essentielles des ces dernières années.  le sixième tome, La mer vue du purgatoire est paru en 2011 et deux autres tomes devraient suivre pour clore ce deuxième (et sans doute dernier) cycle.
Notons qu'Yslaire caresse l'idée d'adapter Sambre au cinéma depuis de nombreuses années. Selon lui, la question n'est plus tant de savoir si, mais plutôt quand cette adaptation verra le jour. On ne peut que lui souhaiter la même réussite qu'en bande dessinée.

vendredi 11 janvier 2013

Foufi, de Kiko


Mon premier contact avec la bande dessinée se fit à travers les bandes dessinées de ma soeur aînée. S'y trouvaient tous les Astérix, des Iznogoud, quelques Lucky Luke, beaucoup de Cauvin, du Peyo, des Spirou de Franquin (et, notable exception, L'Ankou de Fournier) et pas mal d'autres albums du catalogue de Dupuis. Vous aurez compris qu'au départ, je suis un enfant de l'école de Marcinelle, plus que de celle de Bruxelles. Ce n'était que chez mes grands parents que je pouvais lire Tintin, Quick et Flupke et Le Secret de l'Espadon, qui fut mon premier contact avec la bande dessinée réaliste. Parmi les autres séries Dupuis que j'avais à disposition, il y avait quelques épisodes de Sophie, quelques Boule et Bill, quelques Petits Hommes, des Vieux Nick... et Foufi, de Kiko. J'ai immédiatement aimé cette série typique de l'école de Marcinelle.
Sa principale originalité est d'être une des rares séries classiques à se dérouler en Arabie. A vrai dire, mis-à-part Ali Bébert de Bédu et Iznogoud, je n'en vois pas d'autres.
Sur le fond, Foufi possède toutes la caractéristiques d'une série du journal de Spirou: un
dessin rond, dynamique et peu avare en détails pittoresques dans la lignée de Peyo, un humour bon enfant et des histoires qui allient fraîcheur et gentillesse.

Dans une Arabie de légende, Foufi , un jeune garçon espiègle mais au coeur pur, reçoit un tapis volant de son ami le sheikh El Haoui. Mais un tel présent attire les convoitises, comme celle du méchant sorcier Galagalah, personnage gargamelesque en diable. De ce point de départ, Kiko conte des histoires pleines de fraîcheur et de poésie, qui me faisaient rêver quand j'étais môme. En relisant ces albums il y a quelques années, je me suis surpris à retrouver le même plaisir qu'alors, signe de la qualité de cette série.
 

Foufi fut animé entre 1965 et 1979 par Kiko, alias Roger Camille. Elle fut créée pour un journal libanais sous l'oeil bienveillant d'André Franquin avant d'arriver chez Dupuis, d'abord sous forme de récit illustrés dans la collection pour enfants Carrousel (3 volumes parus) avant de rejoindre les pages de l'hebdomadaire. Mais la série n'eut droit qu'à 2 albums, parus en 1968. Visiblement peu appréciée de l'éditeur, la série ne sera jamais soutenue et Kiko, sans jamais laisser tomber son petit personnage, va se recentrer sur des travaux publicitaires et d'illustrations. Il est d'ailleurs le créateur et principal animateur de Max le Lion, qui représentait les glaces Motta. Il faudra attendre la fin des années 90 pour que les éditions Point-Images n'exhument de nombreux récits restés inédits en album.

Un jolie série qui mérite d'être redécouverte, selon moi. En ces temps où les intégrales patrimoniales ont le vent en poupe, ce ne serait que justice que Dupuis réhabilite enfin cette pépite oubliée