jeudi 29 janvier 2015

La trilogie des Eléments d'Enki Bilal






 Cette chronique a été effectuée dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio.

La terre a été dévastée par le "Coup de Sang", un phénomène inexplicable qui a rendu la planète complètement folle. Plus qu'un dérèglement climatique global rendant la planète pratiquement invivable, c'est toute l'humanité qui s'effondre.
Sur ce monde en perdition, quelques groupes tentent de survivre.
Dans Animal'z, nous rencontrions Lester, Ana, Kim et Owles, dérivant sur une mer folle.
Dans Julia et Roem, Lawrence, Julia et Roem rejouaient involontairement la tragédie de Shakespeare au bord d'une route interminable.
Deux premiers tomes intrigants, qui ne sont pas exempts de défauts mais qui ont suffisamment d'attraits pour me donner envie de m'attaquer à ce dernier épisode.
Après la terre et l'eau, il était évident que le troisième volet de cette trilogie des éléments (quid du feu et de Leeloo?) nous entraînerait dans les airs.
Dans La couleur de l'air, Bilal nous invite à bord d'un zeppelin en perdition.
A son bord, Anders et Esther, Zibbar et des jumelles qui débitent de la philosophie dès que le zeppelin s'enfonce dans les nuages.
Mais nous retrouvons également les protagonistes des deux premiers épisodes.
Comme à son habitude, Enki Bilal aime à animer des destins parallèles avant de les faire converger vers sa conclusion, au bout de la route... Déjà la Trilogie Nikopol faisait se retrouver Horus, Nikopol père et fils et Jill à Froid Equateur. La tétralogie du monstre s'achevait également par les retrouvailles de Leila, Amir, Nike et Warhole à Paris.
Il en sera de même ici. Tous sont mystérieusement attiré vers un point.
Point final ? D'interrogation ?
Point de fuite ?
Point de rupture ?
C'est là que Bilal m'a perdu.
Jusqu'alors, j'associais Enki Bilal à une forme de désillusion constante sur l'humanité.
Déjà à l'époque de sa collaboration avec Pierre Christin, il était question du deuil du "rêve" communiste, devenu cauchemar totalitaire (Partie de Chasse), de l'histoire tristement bégayante (Les Phalanges de l'Ordre Noir). La conclusion de Froid Equateur nous abandonne avec un Nikopol "effacé" condamné à se reconstruire sans mémoire, d'un autre condamné à l'oubli, cryogénisé dans une version moderne de l'Arche de Noé et d'une Jill se réfugiant dans l'illusion du cinéma, tentant de faire perdurer son histoire sur la pellicule.
Avec la Tétralogie du Monstre, Bilal introduisait déjà une certaine forme de légèreté. Et sur cette trilogie des éléments...










Si vous ne voulez pas en savoir plus avant d'avoir lu vous-même ce livre, c'est le moment de vous éloigner.





























Et sur cette trilogie des éléments, il tombe dans une forme de candeur new age qui m'a vraiment stupéfait venant d'Enki Bilal. Et je dois avouer que l'orientation choisie par l'auteur m'a laissé complètement froid. 
Bilal nous explique ce qu'est le Coup de Sang.
Il s'agit d'une reconfiguration de la Terre par elle-même.
L'Hypothèse Gaïa, la Terre comme entité vivante qui décide de se défendre et de repartir sur des bases saines.
Un peu comme si la Terre exsudait toutes les toxines de sa surface pour les engloutir littéralement par la bouche des volcans, comme on se débarrasse de la poussière sous le tapis.
Les survivants voient leur mémoire leur être enlevée, les laissant comme de simples feuilles blanches. Ils sont alors transportés dans des lieux de rassemblement où, débarrassés du superflu (en gros, à poil), ils peuvent s'associer librement.
Les bons sauvages, nus et innocents qui vont recommencer à vivre dans un nouvel Eden conçu par Gaïa.



D'un côté, je dois reconnaître la cohérence de la démarche. Bilal sait où il va et construit son récit en conséquence.
L'allégorie occupe une place importante dans son récit.
Dans chaque tome, on assiste à une forme "d'évaporation" de la pensée humaine, des tueurs qui multiplient les citations dans le premier tome, des personnages se trouvant prisonnier d'une représentation inconsciente de Roméo et Juliette jusqu'aux jumelles qui débitent Bergson sans pouvoir s'en empêcher. c'est comme si l'Humanité perdait sa mémoire collective avant que chaque personnage ne finisse par perdre à son tour sa propre mémoire.
Le grand effacement, avec la disparition du libre arbitre.
L'homme ramené à une simple enveloppe.
La Terre, débarrassée de ses scories, reprend littéralement des couleurs.
Les baleines volent dans le ciel.


C'est poétique.
Visuellement, Enki Bilal réalise de beaux albums, très épurés dans leur graphisme. Le trait est plus charbonneux et la mise en couleur, qui privilégie des dégradés ternes pour traduire la décomposition de ce monde. Bilal excelle dans les ambiances apocalyptiques.




Je le trouve moins à l'aise lorsqu'il représente le nouvel Eden, surtout concernant l'utilisation des couleurs. Pour moi, elles ne fonctionnent pas vraiment dans les dernières pages. Mais dans l'ensemble, cette série ravira sûrement ceux qui aiment son graphisme.

A condition de ne pas se heurter au propos terriblement naïf de cette fable. A vrai dire, j'ai presque l'impression de me retrouver face à une allégorie des témoins de Jéhova. Et ce qui n'arrange rien à l'affaire, Bilal me semble avoir décidé de  faire en sorte d'utiliser l'irrationnel de son Coup de Sang pour pouvoir tout se permettre en terme de logique. Il peut tout se permettre pour autant que cela l'arrange.
Le monde est au bord du gouffre, la Terre prend les choses en main, fait le ménage et choisit une poignée d'élus qu'elle "ré-initialise" pour... s'associer, à poil dans un nouvel Eden?
Reconstruire l'Humanité, selon Enki Bilal.
Si ça l'amuse, tant mieux pour Elle.
Tant mieux pour lui.
Mais, personnellement, ce genre de fable mystico-écologique et d'un optimisme béat, ça m'ennuie

2 commentaires:

  1. Ca fait des années que j'ai lâché Bilal. Il est vraiment largué le pauvre. Après il reste le peintre qui vend le plus cher actuellement, ma foi tant mieux pour lui. Mais son expo au Louvre était assez pathétique, un pauvre concept de base, mais ça a marché du tonnerre. Mais quand tu lis ce qui se fait en livre ou en série télé depuis 10 ans, je le trouve si vieux, figé, ennuyeux. Scarlett

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  2. j'ai aussi du mal avec le Bilal des dernières années. Depuis Froid Equateur en fait. Je me dis à chaque fois que je vais arrêter mais il y a toujours quelque chose dans son univers qui m'attire. Malheureusement, les satisfactions que j'en retire sont de plus en plus faibles

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