Il y a quelques années, je me suis intéressé à tout ce qui venait du Japon, d'un point de vue culturel. Je découvris Yukio Mishima, Yasunari Kawabata, Kenzaburo Oe ou encore Natsume Soseki (grâce au manga Au temps de Botchan de Taniguchi et Sekikawa). Et je me mis évidemment à lire des mangas. Mais je me suis assez vite désintéressé du manga "classique", qui m'ennuyait assez vite, à quelques exceptions près, comme Lone Wolf & Cub, Monster, Jiro Taniguchi ou encore Osamu Tezuka, dont il est sans doute difficile pour nous, Européens, de saisir l'impact phénoménal qu'il a eu sur le monde du manga, et la culture populaire japonaise, encore plus profond que ce que peut représenter Hergé pour la Belgique. De nouveaux éditeurs firent leur apparition, parmi lesquels Matière, Imho et Le Lézard Noir, qui se spécialisèrent dans des mangas franchement alternatifs comme ceux de Tayiou Matsumoto, Junko Mizuno, Yuichi Yokohama dont j'ai déjà parlé sur ce blog... Je connaissais déjà Suheiro Maruo, pour avoir vu quelques planches dans Bang!, l'éphémère magazine de Casterman. J'avais été intrigué par son style à la fois très élégant mais aussi profondément glauque et morbide. Son oeuvre s'inscrit essentiellement dans le genre dit ero guro, un mouvement artistique japonais qui combine érotisme et éléments plus morbides et grotesques (une petite recherche d'image sur google avec les mots clé ero guro vous don, âmes sensibles, s'abstenir). Le nom le plus souvent associé à ce mouvement est celui de l'écrivain Edogawa Rampo, auteur de L'Ile Panorama ou La Chenille. Dans le monde du manga, on peut aussi citer certains mangas de Shintaro Kago, Junji Ito (dont Spirale est très réussi et relativement soft) ou Hideshi Hino.
L'ero guro est un genre intrinsèquement malsain et transgressif. Les corps sont malmenés. Les mutilations et tortures sont fréquentes. La sexualité est déviante et il n'est pas rare que les récits se teintent de scatophilie. Le premier manga ero guro que j'ai lu était La Jeune Fille aux camélias, une histoire morbide à souhait dans laquelle une jeune orpheline vit un véritable calvaire dans un cirque ambulant composé de monstres de foire.
La particularité de Suehiro Maruo réside dans un représentation très crue des événements qu'il décrit qui tranche avec la grande méticulosité de son dessin, très fin et élégant. Je voudrais aborder deux petits ouvrages très particuliers illustrés par Maruo, qui n'ont rien à voir avec le genre ero guro: Exercices d'automne, ou l'art de ramasser les feuilles mortes et L'art du bain Japonais. Ecrits par Leonard Koren, architecte, esthète, designer et éditeur américain (entre autres de la revue WET: The Magazine of Gourmet Bathing ) fasciné par le Japon, ces deux petits ouvrages se présentent comme des guides sur des activités à priori triviale: le bain, et le ramassage des feuilles mortes.
Leonard Koren décompose ces deux activités en étapes claires, illustrées avec minutie par Maruo. Paradoxalement, cette décomposition très factuelle et froide d'aspect ritualise ces activités et les rendent subitement riche de sens.
Leonard Koren, insiste dans son préambule et sa conclusion sur le fait que la notion de bain diffère fortement entre le Japon et l'Occident. Au Japon, les notions de sale et de propre sont incompatibles. Autrement dit, le bain se décompose en deux grandes étapes: d'abord, le baigneur se lave à l'extérieur, puis il se glisse dans un bain chaud (40 à 50°, soit plus chaud que selon nos habitudes) et profite de ce moment pour se relaxer. L'acte de se baigner ne se limite donc pas à assurer l'hygiène du corps, mais aussi celle de l'esprit. Le bain, tradition ancrée dans la société japonaise (les premiers bains publics remontent au VIIIème siècle), est vraiment considéré comme un moment privilégié et, encore de nos jour, reste même assimilé à une activité sociale, comme en témoigne la persistance de bains publics (sentō, où onsen lorsqu'ils tirent parti de source thermale, essentiellement hors des villes).
Si ceux-ci tendent progressivement à disparaître en ville, ils conservent une certaine importance dans la vie sociale. Souvent attenant à des laveries, il n'est pas rares que des gens profitent du temps de leur lessive pour aller se baigner et rencontrer des gens. Même les personnes disposant d'une salle de bain aiment à se rendre dans les bains publics, alors que le prise de bain dan la solitude de sa salle de bain personnelle serait de plus en plus souvent perçu comme une corvée. Koren y voit un indice de la nucléarisation grandissante de la société japonaise. Mais la jeunesse se détourne de plus en plus des sentō. Certains jeunes Japonais d'aujourd'hui sont embarrassés à l'idée de se montrer nus en public, ce qui les empêche de se rendre dans des sentō. Selon certains Japonais, ne pas faire l'expérience de cette nudité collective empêche les jeunes de se socialiser correctement.
L'ero guro est un genre intrinsèquement malsain et transgressif. Les corps sont malmenés. Les mutilations et tortures sont fréquentes. La sexualité est déviante et il n'est pas rare que les récits se teintent de scatophilie. Le premier manga ero guro que j'ai lu était La Jeune Fille aux camélias, une histoire morbide à souhait dans laquelle une jeune orpheline vit un véritable calvaire dans un cirque ambulant composé de monstres de foire.
La particularité de Suehiro Maruo réside dans un représentation très crue des événements qu'il décrit qui tranche avec la grande méticulosité de son dessin, très fin et élégant. Je voudrais aborder deux petits ouvrages très particuliers illustrés par Maruo, qui n'ont rien à voir avec le genre ero guro: Exercices d'automne, ou l'art de ramasser les feuilles mortes et L'art du bain Japonais. Ecrits par Leonard Koren, architecte, esthète, designer et éditeur américain (entre autres de la revue WET: The Magazine of Gourmet Bathing ) fasciné par le Japon, ces deux petits ouvrages se présentent comme des guides sur des activités à priori triviale: le bain, et le ramassage des feuilles mortes.
Leonard Koren décompose ces deux activités en étapes claires, illustrées avec minutie par Maruo. Paradoxalement, cette décomposition très factuelle et froide d'aspect ritualise ces activités et les rendent subitement riche de sens.
Leonard Koren, insiste dans son préambule et sa conclusion sur le fait que la notion de bain diffère fortement entre le Japon et l'Occident. Au Japon, les notions de sale et de propre sont incompatibles. Autrement dit, le bain se décompose en deux grandes étapes: d'abord, le baigneur se lave à l'extérieur, puis il se glisse dans un bain chaud (40 à 50°, soit plus chaud que selon nos habitudes) et profite de ce moment pour se relaxer. L'acte de se baigner ne se limite donc pas à assurer l'hygiène du corps, mais aussi celle de l'esprit. Le bain, tradition ancrée dans la société japonaise (les premiers bains publics remontent au VIIIème siècle), est vraiment considéré comme un moment privilégié et, encore de nos jour, reste même assimilé à une activité sociale, comme en témoigne la persistance de bains publics (sentō, où onsen lorsqu'ils tirent parti de source thermale, essentiellement hors des villes).
Si ceux-ci tendent progressivement à disparaître en ville, ils conservent une certaine importance dans la vie sociale. Souvent attenant à des laveries, il n'est pas rares que des gens profitent du temps de leur lessive pour aller se baigner et rencontrer des gens. Même les personnes disposant d'une salle de bain aiment à se rendre dans les bains publics, alors que le prise de bain dan la solitude de sa salle de bain personnelle serait de plus en plus souvent perçu comme une corvée. Koren y voit un indice de la nucléarisation grandissante de la société japonaise. Mais la jeunesse se détourne de plus en plus des sentō. Certains jeunes Japonais d'aujourd'hui sont embarrassés à l'idée de se montrer nus en public, ce qui les empêche de se rendre dans des sentō. Selon certains Japonais, ne pas faire l'expérience de cette nudité collective empêche les jeunes de se socialiser correctement.
Une affiche pour expliquer aux étrangers comment se comporter dans un sentō |
"Femmes au Sento" - Torii Kiyonaga (1752 - 1815) |
Concernant cette intéressante tradition du bain, on peut également apprécier le travail de Mari Yamazaki et son "Thermae Romae", qui détaille les tribulations d'un concepteur de thermes romain régulièrement expédié dans les sento du japon moderne.
RépondreSupprimerC'est assez drôle, très documenté, et ça s'arrête à temps au sixième tome.