vendredi 3 août 2012

Les Mémoires d'Amoros / Le Piège de Cava et Del Barrio (Amok puis Frémok / les Editions de l'An 2)



Les Mémoires d'Amoros fait partie de ces bijoux injustement méconnus. Publiée d'abord par Amok, puis repris dans le catalogue Frémok, né de la fusion des éditeurs Fréon et Amok, cette série espagnole signée Cava et Del Barrio n'a visiblement jamais vraiment rencontré le succès qu'elle mérite. Les deux premiers tomes mentionnent d'ailleurs que cette série compte 4 tomes, alors que le troisième et dernier tome paru en 2004 ne fait plus mention de ce quatrième tome. Y-a-t-il un tome non traduit ou était-ce une confusion avec Le piège (oublié aux Éditions de l'an 2), autre livre des mêmes auteurs qui partage certains thèmes avec Amoros ?
Avant tout, Les mémoires d'Amoros est un polar. Les intrigues sont plutôt classiques mais bien tournées et restent fidèle à une certaine tradition du roman noir. Le héros, Angel Amoros, est un journaliste que son travail amène à côtoyer les milieux interlopes de Madrid. Il se retrouve ainsi mêlé à de sombres histoires. Mais on ne peut réduite cette série à ce seul aspect. Son scénariste, Felipe H Cava, dote ses histoires d'un contexte historique fort. En fait, l'Espagne semble souffrir d'une étrange amnésie. A la sortie de la dictature franquiste, la société espagnole semble avoir fait le choix d'un oubli commode pour solder d'autant mieux l'héritage de la dictature.
Mais, pour Felipe H Cava, l'Histoire ne peut être ignorée. L'Histoire façonne la société dans laquelle nous vivons. Elle broye les individus et elle ne manquera pas de se rappeler à nous lorsque nous nous y attendrons le moins. L'ambition de Cava et ses dessinateurs est donc d'introduire une conscience politique dans ses bandes dessinées. A ce titre, Les Mémoires d'Amoros se révèle une grande réussite.
Comme le titre le suggère, la série est construite autour des souvenirs d'Angel Amoros. Le personnage d'Angel Amoros est intéressant à plus d'un titre. Il est inspiré d'un personnage réel: Eduardo de Guzman, journaliste anarchiste emprisonné sous Franco, qui se recycla dans la littérature policière. Mais, de manière symptomatique, les auteurs ont choisi d'en faire un personnage sans envergure particulière. Il se présente lui même comme journaliste de deuxième rang. Autrement dit, il n'est pas un personnage exceptionnel. Angel Amoros est un homme parmi d'autres, qui se trouve confronté à des événements qui le dépassent. En faire un personnage "banal" permet aux auteurs de rappeler que la conscience historique est l'affaire de tous.

Les Mémoires d'Amoros est donc un polar, aux intrigues efficaces et accessibles, même sans connaissance particulière de l'histoire espagnole. Les postfaces permettent de mieux resituer les enjeux, mais ce contexte n'est jamais indispensable à saisir les grandes lignes de l'intrigue. Par contre, elle aiguise la curiosité et incite à se poser des questions sur ces événements qui surgissent dans l'intrigue, comme les relations complexes de l'Espagne avec les Philippines ou le Guerre du Rif qui opposa rebelles marocains et armée espagnole. En ce sens, Les mémoires d'Amoros s'impose comme une série d'une grande intelligence.
Mais je n'ai toujours pas parlé du formidable travail de Frederico Del Barrio. Il excelle dans un noir et blanc virtuose. S'il utilise la technique du lavis pour les deux premiers tomes, il préfère passer au noir et blanc brut pour le troisième tome, qui n'est pas sans rappeler Munoz.
Deux techniques très différentes dans lesquels il se montre tout aussi à l'aise. Notons également deux pages magistrales à la fin de "le lumière d'un siècle mort" qu'il traite en "négatif". De plus, ses cadrages, à priori évidents, se révèle d'une grande justesse et d'une précision implacable. La virtuosité n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle ne saute pas aux yeux.



Mais je me rends compte qu'il est difficile de ne pas associer aux mémoires d'Amoros l'autre collaboration de ces 2 auteurs: Le Piège.

Dans ce one-shot, ils suivent Enrique Montero, ancien partisan reconverti dans la bande dessinée, contacté par d'anciens camarades pour piéger un de leurs anciens compagnon d'arme qui a dérapé. Situé dans l'immédiat après-guerre, ce récit sombre et tendu, alterne trois temps en autant de styles graphiques:
  • le présent traité dans un noir et blanc charbonneux qui traduit à merveille le climat oppressant de la dictature. Les personnages semblent avoir de la peine à s'extirper des ténèbres.
  • la bande dessinée réalisée par Montero, dans laquelle la réalité semble trouver un étrange écho. Cette bande dessinée super-héroïque inoffensive promène son héros solaire dans des planches au trait simple et lumineux, en opposition complète avec la noirceur de la réalité. La bande dessinée apparaît plus que jamais comme un échappatoire face au quotidien.
  • Les planches relatives aux souvenirs de la guerre civile sont traitées dans un style expressionniste qui confine à l'abstrait, pour souligner la folie ambiante et le délire des personnages.
cliquez sur l'image pour voir une plus grande version de cette planche
Une intrigue dense et oppressante dont le héros, une fois de plus, n'est pas un héros, mais un homme dont la seule ambition est de survivre, même s'il n'oublie rien.

De formidables bandes dessinées, qui méritent plus d'intérêt, que leur apportera peut-être le succès des derniers albums de Cava, désormais édité aux éditions Dargaud (Les serpents aveugles et Les racines du chaos, dessinés par Bartolomé Seguí).

Notons enfin que Frederico Del Barrio signe aussi des livres très différents sous le pseudonyme de Silvestre dans lesquels il s'interroge sur la création et la narration en bande dessinée, en démontant les ressorts et artifices.Malheureusement, ces livres sont épuisés, je ne peux que me reporter au web pour trouver des informations sur ces derniers.


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