jeudi 16 août 2012

Le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette



 
C’est le Transperceneige aux mille et un wagons, dernier bastion de la civilisation.

Le Transperceneige est sans conteste l'un des classiques de la bande dessinée d'anticipation franco-belge. Jacques Lob l'avait initialement écrit pour Alexis, l'auteur de Super Dupont. Mais celui-ci décéda brutalement en 1977, après en avoir seulement réalisé 16 planches..



Une planche de Alexis pour la première version du Transperceneige
Dans sa mouture originale, le récit, fortement influencé par le style fantaisiste de son dessinateur,  se voulait surréaliste et burlesque. Lorsque Jacques Lob décida, au début des années 80, de relancer ce projet en collaboration avec Jean-Marc Rochette, il s'adapta au style plus froid ce dernier. Le récit dévia donc de sa veine humoristique initiale pour devenir une fable politique plus sombre.


Le Transperceneige est un
train conçu pour des "croisières d'agrément sur rail". Un jouet pour les plus riches, en somme. Mais lorsque le climat s'est brusquement déréglé, le train fut littéralement pris d'assaut par la foule. Si les élites militaires et politiques avaient déjà trouvé refuge dans cette arche tout-confort, il fallut rajouter en hâte des wagons de deuxième classe pour accueillir plus de monde. Des wagons de fret furent enfin attachés en queue de convoi pour entasser des réserves. Mais ces derniers wagons furent rapidement envahis par les plus pauvres, avant que le convoi ne s'ébranle pour un voyage sans retour.
Car le Transperceneige n'a pas de destination. Quelle pourrait-elle être la sienne dans ce monde mortellement glacé ?


Le Transperceneige roule sans trêve, tracté par une motrice révolutionnaire qui n'a besoin d'aucun apport d'énergie. Derrière la loco, un convoi comme un monde en miniature, auto-suffisant et autonome. En cela, il renvoie à certaines observations de Le Corbusier sur la structure même d'un train longue distance
L’Amérique a ses architectes de wagons, plus que cela, de trains.

Pendant que le train roule, le voyageur doit pouvoir marcher, circuler, changer de place, s’asseoir diversement, s’occuper se distraire. 

La dernière voiture est aménagée en belvédère ouvert.
Le train devrait être une rue, avec ses squares.
Pourquoi ne pas installer la bibliothèque de gare dans le train, le cinéma, la terrasse de café et le bar, voir le bal musette, le deck de bateau, le fumoir de club ?
Le problème s'énonce : un wagon est une maison de vingt mètres de long, le train est un village.

 Très belle maquette de l'édition espagnole
Mais si dans la bouche de Le Corbusier, le train-village n'est qu'un modèle théorique et presque utopique, dans le Transperceneige, l'utopie devient dystopie. Les inégalités explosent. Les classes dirigeantes ont établi leur quartier dans les luxueuses voitures de tête. Puis viennent quelques wagons servant à la production de nourriture. Suivent les "seconde classe" séparées des wagons de queue par une zone militarisée. Les conditions de vie dans la queue du convoi étaient tellement insupportables que quelques mois après le départ, la "plèbe" tenta d'échapper à cet enfer en forçant le passage vers la tête du convoi. Ce fut la ruée sauvage, un massacre perpétré par l'armée pour repousser les assaillants.
Depuis, la queue du convoi n'est plus évoquée, si ce n'est par une poignée d'idéalistes qui plaident pour l'intégration des populations du "tiers-convoi" au reste du Transperceneige. L'arrière du convoi a été complètement isolé du reste du convoi. La principale préoccupation des passagers de première et seconde classes consiste à lutter contre l'ennui, quand ils ne se laissent pas séduire par les délires mystiques de  quelques illuminés qui vouent un culte à la Très Sainte Loco.

A travers le Transperceneige, c'est toute l'inégalité de la société que Lob et Rochette critiquent. Le microcosme du Transperceneige concentre les dérives de la civilisation, que ce soit dans les rapports entre castes ou entre les individus. L'argument de départ reste classique: Proloff, un queutard, réussit à s'échapper de l'arrière et remonte le convoi, découvrant l'organisation de ce monde clos. Au lieu d'en faire un indigné, les auteurs ont préféré en faire un individu avant tout soucieux de sauver sa peau. Il semble rester insensible aux injustices dont il est témoin. A quoi bon grossir le trait ? La situation est déjà tellement absurde que la souligner encore plus n'aurait fait qu'alourdir le propos.



Le Transperceneige, c'est la mise sur rail d'une fuite en avant. L'Humanité est prisonnière du chemin qu'elle s'est tracée. Elle tente en vain d'échapper à la mort. En refermant ce livre, à l'esthétique austère et glacée, on se dit que la messe est dite. Rochette s'associera pourtant en 1997 à Benjamin Legrand pour y apporter une suite en deux tomes, L'arpenteur et La traversée. Les auteurs se concentrent sur le Crève-Glace, un Transperceneige high-tech qui sillonne les mêmes rails, conscient de l'existence de cet autre convoi qu'il risque de percuter à tout moment. Leur vision reste respectueuse de l'oeuvre originale et joue plus sur l'aspect SF que sur la satire politique. Si l'album original de Lob et Rochette se suffit à lui-même, rien n'empêche de s'intéresser à cette suite qui n'a rien de déshonorant.
Il est à noter qu'une adaptation cinématographique est en cours de production (prévue pour courant 2013), par le Coréen Joon-Ho Bong, avec un casting international puisqu'on y retrouve John Hurt, Chris Evans, Tilda Swinton ou Jamie Bell.
Artwork pour l'adaptation cinématographique en court de réalisation par Joon-Ho Bong

2 commentaires:

  1. Merci pour l'intérêt que vous portez au Transperceneige, pour info le tournage du film vient de se finir à Prague le 15 juillet,reste à faire les effets spéciaux, pour ce que j'en ai vu, on se dirige vers un très très grand film, les acteurs sont parfaits et les décors à couper le souffle, je crois que Jacques LOb serait content, je suis très confiant. bien à vous. Jean Marc Rochette

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  2. Hé bien je sors de le voir.
    Spectaculaire et très originale. Acteurs excellents, décors et personnages me rappelant Jeunet, une référence.
    La narration est très asiatique, potentiellement gênante pour certains. Chaque scènes à une esthétique magnifiée, frisant la caricature. Moi j'ai adoré.
    Curieusement, car ayant lu le premier tome il y a des lustres, j'ai hâte de le relire pour comparaison.

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