mercredi 18 octobre 2017

La Vie Sauvage, de Thomas Gunzig





C'est chronique a été réalisée dans le cadre de l'opération "masse critique" de Babelio.
Thomas Gunzig, qui se définit lui-même comme un pessimiste qui aime la vie, fait partie de ces touche-à-tout qu'on croise régulièrement dans le monde culturel belge.
Tout d'abord romancier (Mort d'un parfait bilingue, Manuel de survie à l'usage des incapables), il a également signé plusieurs pièces de théâtre (L’héroïsme aux temps de la grippe aviaire, Contes Héroïco-Urbains) et s'est imposé comme l'une des signatures de la Matinale de la Première avec sa chronique Café Serré. Il est aussi un collaborateur de Jaco van Dormael avec qui il a coécrit son dernier film, Le tout nouveau testament, ainsi que son spectacle Kiss & Cry.
Son humour volontiers caustique conjugué à un certain esprit poétique ait souvent mouche.

Kiss & Cry, la "nanodanse" corégraphiée Michèle-Anne De Mey

Dans ce roman, il imagine une fable cruelle et féroce. Son véhicule littéraire est Charles, un "enfant sauvage" qui découvre la civilisation. Charles est le seul survivant du crash d'un avion de ligne au dessus de l'Afrique. Il n'était alors qu'un bébé. Sa chance fut qu'un groupe de rebelles itinérants, pas vraiment engagé dans une cause ou une autre, si ce n'est celle de leur propre survie, fut témoin du crash. Ils étaient en train de récupérer tout ce qu'il y avait à récupérer lorsqu'ils découvrir ce bébé, miraculeusement indemne. Charles a donc grandi dans cette troupe nomade.
Il faudra un concours de circonstances qui inclut une google-car, 90.425 likes, 80.763 partages et un journaliste de troisième zone pour que Charles, devenu adolescent, soit identifié et rapatrié. Tout cela est expédié en quelques pages. la Vie Sauvage n'est pas une relecture belge des aventures de Tarzan. Charles est un révélateur qui permet à Gunzig de s'attaquer à son sujet de prédilection: une critique de l'absurdité de notre monde moderne.
Il imagine donc une ville de taille moyenne du Brabant, avec son bourgmestre, petit potentat de province confit de son importance (très) locale. Il lui adjoint une famille d'une désespérante normalité: une femme et 2 enfants. Son épouse, femme trophée strictement décorative, n'existe que dans son ombre mais se s'estime d'une importance démesurée par son seul statut de femme de... Quant à ses deux enfants, il s'y intéresse à peine. Aurore est une de ces adolescentes déjà broyée par un environnement familial étouffant et le poids de ne pas être à la hauteur des espérances de sa mère. Frédéric est un adolescent mal à l'aise, friand de vidéos immondes dénichées sur le dark web, branleur au sens littéral du terme et semble être un bon candidat pour un remake brabançon de Bowling for Columbine.
Enfin il y a l'école, toute en clichés.
Il y a les cools et les losers, la tyrannie des réseaux sociaux, les soirées semi-clandestines lorsque les parents sont absents...
Charles, tout auréolé de son histoire, est d'emblée adopté par les cools. Cette intégration découle toute autant de la bonne conscience, du parfum d'exotisme et de mystère que dégage Charles mais aussi du fait que Charles est mignon. Il se montre aussi étrangement mûr et cultivé. Il a en effet bénéficié de l'éducation stricte de son père adoptif, grand amateur de littérature, qu'il l'a initié à la poésie et à la philosophie.
Il ne faut pas chercher la vraisemblance à tout prix. Gunzig tisse une fable cynique et acide. Il introduit le ver dans le fruit et laisse transparaître la sauvagerie sous-jacente. Parce que la vie sauvage dont il est question dans le titre n'est pas nécessairement celle que l'on croit. Cela permet à Gunzig de composer quelques pages très drôle. Je pense par exemple à celles où Charles imagine la vie future et morne de Jessica, une de ses camarades de classe, où lorsqu'il dissèque la vie de sa tante, toute en superficialité. Il faut accepter au départ la facilité avec laquelle Charles s'intègre et sa maturité étonnante face à l'immaturité totale des autres personnages. Il faut accepter qu'il s'agit d'une satire acerbe et on peut dès lors se laisser porter. L'ironie mordante de Gunzig fait alors mouche. La sauvagerie feutrée des villas non-mitoyennes et des salles de classe apparaît clairement. Et ce pessimiste qui aime la vie qu'est Gunzig ose même une histoire d'amour et finit par exprimer ce qui ressemble à de l'optimisme et à une once d'espoir en ce qui concerne la jeunesse.

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