vendredi 15 mars 2013

Bob Marone, de Yann et Conrad


Bob Morane contre tous chacals
L'aventurier contre tous guerriers

Premier contact avec Bob Morane, le riff reconnaissable entre 1000 d'Indochine et une des chansons au texte le plus abscons qui soit. Puis, ce furent les romans, découverts lorsque j'avais une dizaine d'années. Pour me faire patienter lors d'une visite qui n'en finissait pas chez une vieille tante, on m'avait fourré en main 4 vieux Marabout. Je les dévorai et je devins accro. Dans les années qui suivirent, j'ai écumé les bouquinistes et les brocantes pour les dénicher tous et je continuai à lire chaque nouveauté jusqu'au numéro 186, Les Esprits du Vent et de la Peste.
Puis, j'ai renoncé, tant les romans étaient devenus indigestes.
Umberto Eco notait il y a plus de 15 ans,
la série répond au besoin infantile d’entendre inlassablement la même histoire, d’être soumis au retour de l’identique – transformé de manière superficielle. La série nous contrôle parce qu’elle récompense notre capacité d’anticipation ; nous sommes contents parce que nous découvrons notre capacité à deviner ce qui va se produire. Nous sommes aussi contents parce nous retrouvons ce que nous attendions.
Cela résume bien le type de relation que j'entretenais avec Bob Morane. Il y avait une forme de plaisir régressif à retrouver sans cesse les mêmes ingrédients, d'autant que Bob Morane offrait la particularité de ne jamais s'être limité à un genre précis mais d'avoir investi des styles aussi différents que l'aventure, l'espionnage, le fantastique ou la SF. Mais, à force, je n'y quand même plus trouvé mon compte.
Par contre, le grand lecteur de bande dessinée que je suis n'a jamais vraiment accroché aux albums consacrés à Bob Morane. Pourtant, la relation entre Bob Morane et la bande dessinée est ancienne. Les bandes dessinées ont été réalisées par des auteurs solides comme Dino Attanasio (plus à l'aise dans l'humour), Gérald Forton, William Vance, évidemment, et dernièrement Coria, en attendant un reboot chapeauté par Luc Brunschwig.
Ce n'était pas le cas de sa parodie: Bob Marone.



Cette bande dessinée m'intriguait. Elle a une dimension quasi mythique. Elle constitue pour beaucoup le sommet de la collaboration entre Yann et Conrad. A l'époque, ces 2 trublions dynamitent le Spirou post-trombone, entre autres à travers des Hauts de Pages. Bob Marone y vécut ses premières aventures, avec le soutien du rédacteur en chef Alain de Kuyssche. Mais le ton trop libre effraye le bien-pensant Charles Dupuis qui suspend sa parution. Bob Marone rejoint alors Circus, le magazine édité par Jacques Glénat où il connaîtra la consécration d'une vraie bande dessinée en 2 tomes: Le Dinosaure Blanc. Malheureusement, elle est restée longtemps indisponible et je désespérais de pouvoir la lire un jour. Puis, en 2010, Dargaud eut l'excellente idée d'en proposer une intégrale très soignée.


Au menu, les 2 tomes du Dinosaure Blanc: A la Recherche de Franck Veeres et L'Affrontement, accompagné d'une foule de bonus: scènes inédites, les deux aventures parues en feuilleton dans les Hauts de Pages (Les Bonbons de l'Ombre Mauve et Les Gâcheurs de Dinosaures), illustrations diverses... le tout emballé dans une maquette qui imite la célébrissime maquette des Marabout Junior, version des années 60.
Une fois l'objet entre mes mains, la question était: est-ce que cette parodie mérite vraiment tout le foin qu'on fait autour ?
Pour être bref, j'ai ri.
Une bonne parodie doit autant s'attacher à ce qui est visible qu'à ce qui est passé sous silence. Autrement dit, se moquer de ce qui est et de ce qui n'est pas.
Yann base son scénario sur un roman existant: les Chasseurs de Dinosaures. Il suit le canevas de manière relativement fidèle, à l'exception, de l'intervention de la patrouille du temps. Il imite le style imagé de l'auteur avec un plaisir évident. A vrai dire, il mélange les métaphores ampoulées un peu ridicules:
aussi belle qu'un poète arabe aurait renoncé à la décrire
 avec d'autres de son cru
seul un poète arabe dément n'eût peut-être pas renoncé à décrire l'incroyable paysage cauchemardesque et obscène qui s'étendait à perte de vue
ou encore des passages hilarants comme
Bob grimaça; les grains de sable primitifs n'avaient, hélas, pas encore émoussés par l'érosion des siècles à venir et lui écorchaient cruellement les yeux
Les talents d'ingénieur de Bob lui sont très utiles, à tous points de vue, même pour identifier des plantes préhistoriques, parce qu'un ingénieur, c'est pas la moitié d'un con. Physiquement, Marone est plutôt du style nabot, loin de l'athlète des romans...
Mais l'autre aspect de cette parodie repose sur tout ce qui a toujours été omis dans les romans: les racines et l'intimité de Marone. Je crois qu'Henri Vernes n'aborde jamais les questions relatives à sa famille et son enfance. Quant à sa vie intime, non seulement elle n'est jamais abordée, mais elle pose franchement question. Il a croisé des dizaines de femmes, plus sublimes les unes que les autres, parfois très claires sur leurs sentiments. La rousse incendiaire Sophia Paramount, Tania Orloff ou la sublimissime Miss Ylang-Ylang, avatar sexy en diable de Lady Dragon, qui sera la seule à réussir à lui arracher, par surprise, un semblant de baiser chaste dans Commando Epouvante (mais ce n'était qu'une simulation, l'honneur est sauf)... Toutes seront éconduite d'un petite fille paternaliste, limite condescendant .
Bob Marone, à l'inverse de Bob Morane, aura donc des racines et une vie affective. Et ce dès la première page. Bob est chez lui, profitant du sommeil du juste, au lit avec son ami Bill Gallantine. Soudain, le téléphone sonne ! Sa mère, inquiète, lui demande de la rejoindre le plus vite possible à la Maronière, la propriété familiale. Les pages suivantes feront aussi planer le spectre d'un père absent, parti avec la bonne, dont Bob semble sans cesse attendre une forme de reconnaissance.

Il faut comprendre que l'absence de sexualité de Bob Morane n'est pas la volonté d'Henri Vernes. Il créera d'ailleurs sous le pseudo de Jack Colombo, le personnage de Don, qui vivre des aventures similaires à celle de Bob Morane, mais avec une sacré dose de sexe et de sang. Cette asexualité est plutôt une conséquence de la pudibonderie de la presse pour la jeunesse qui s'échine à évacuer toute notion de vie intime pour les personnages de l'époque. Les parents Vaillant dorment en lits jumeaux; Walter et Natacha ont tous les attributs d'un couple, mais ne sont que bons amis, tout comme Modeste et Pompon (Griffo, lors d'une éphémère reprise, les représenta dans le même lit... il fut viré sur le champ)...
Toute la bande dessinée et la littérature jeunesse est asexuée. La parodie avait beau jeu de s'attaquer à cette angle-là. Roger Brunel joua la carte de la gaudriole paillarde. l'homosexualité supposée des héros était un autre angle facile, qui permettait aussi, par le prisme de la grande folle, de moquer le virilité des héros. Yann et Conrad joue une carte plus fine qu'il n'y paraît. Bob et Bill forment un couple équilibré, dans lequel Bob porte la culotte (en même temps, cet écossais de Bill préfère le kilt). Et cela ne remet jamais en cause leur qualité de héros. Leur couple semble même parfaitement accepté par leur entourage. L'homosexualité y est représenté normalement, sans tomber dans les clichés habituels. La France venait pourtant seulement de la dépénaliser, en 1981.


La réussite de Bob Marone tient au fait que les auteurs ne se sont pas abandonné à la parodie facile qui aurait consisté à prendre systématiquement le contre-pied de l'univers de Bob Marone. Ils auraient pû faire de Bob et Bill des gays SM et drogués qui s'enfilent dans une impasse sombre en terrorisant les petites vieilles. Ils ont préféré une forme d'hommage parodique qui ne se contente pas d'aligner les vannes. Leur histoire repose sur un scénario qui tient la route et peut même s'apprécier sans connaître le personnage.
Spirou vu par Conrad
Un élément assez amusant à relever, outre la présence d'un prêtre qui préfigure Odilon Verjus, est le côté très "champignacien" de la Maronière, et de Pelissanne, le village avoisinant, avec ses ouailles très pittoresques. Yann rêvait sans doute déjà de reprendre le personnage de Spirou. En 1984, lorsque parait Bob Marone, Spirou ne va pas bien, après l'essai raté de l'équipe Cauvin & Nic Broca. Tome et Janry ne sont pas encore incontournables. Il ne serait pas surprenant que Yann et Conrad caressaient l'idée de reprendre les aventures du groom. Yann tentera une première fois l'aventure avec Chaland, avec de signer deux scénarios dans les HS de Spirou, l'un, très franquinesque, avec Tarrin, l'autre, dans la lignée de son expérience avec Chaland, avec Schwartz. Conrad, quant à lui, travaille à son propre Spirou, sur un scénario d'Arleston. Les albums de Yann se sont révélés concensuels, et rien ne laisse présager qu'il en sera autrement de celui de Conrad. Pourtant, un Spirou passé à la moulinette de ces 2 iconoclastes aurait pû être tellement réjouissant.

Spirou, vu par Chaland

Dernièrement, Yann a réactivé Bob Marone au sein de Fluide Glacial. Quelques planches ont été signée par Tarrin, justement, et par Yoann, devenu entretemps... dessinateur de la série-mère de Spirou, après un premier hors-série très réussi. Marone et Spirou ne sont décidément jamais très éloignés.

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