En 2005, JC Menu édite 'Plates-bandes', petit livre pamphlétaire qui fera quelques vagues. Il y cite Pajak, que la bande dessinée ne le fait plus rêver, alors que selon Charb, la bande dessinée l'emmerde. Cela s’applique également à moi, ancien lecteur compulsif. Pourtant, je continue d'aimer des livres qui se trouvent être parfois des bandes dessinées. A travers ce blog, j'ai envie d'explorer ce qui me fait toujours rêver, et, parfois, parler de ce qui fait que la bande dessinée m'emmerde.
lundi 23 juillet 2012
La révolution de Broussaille


J'ai beaucoup hésité, effacé, recommencé... avant de me rendre compte à quelle point la trajectoire de Broussaille évoque un cycle, ou plutôt une révolution. Preuve en est l'évolution graphique spectaculaire du personnage.

Si les scénarios n'évitent pas certaines facilités ou raccourcis, la dimension onirique des Baleines Publiques, où les rues de Bruxelles sont envahies de créatures marines, ou l'ambiance bucolique des sculpteurs de lumière fonctionnent à merveille et on se surprend à se laisser porter par une petite musique qui émeut.
Vient alors le premier hiatus dans la série, qui revient quelques années plus tard, en 1989, dans un style semi-réaliste, pour une très belle Nuit du Chat. au cours de laquelle l'errance nocturne de Broussaille à la recherche de son chat lui fait réaliser que parfois, il faut dire "je veux" au lieu de "je voudrais". Récit initiatique à la lisière du fantastique, hanté par un étrange vieillard qui a transformé sa maison en Egypte miniature, le récit met en scène un Broussaille qui a mûri. Cette évolution plaît au public, l'album recevant le prix du public à Angoulême en 1990.

Il y a d'abord Broussaille au Japon, réalisé en 1994 par le seul Frank Pé. Il y puise dans ses souvenirs d'un voyage au Japon pour mettre en scène un chassé-croisé amoureux entre Brou et Catherine. Le récit est sans doute avant tout un prétexte à une mise en scène d'un Japon fantasmé, mais il fait partager de belles émotions, qui perpétue cette jolie musique qui accompagne toujours Broussaille
Mais il y a aussi Sandrine des collines, qui envoie cette fois Broussaille en Afrique. Bom est de retour au scénario. J'ai toujours trouvé cette histoire profondément bancale. L'histoire et son traitement me semble en complet décalage avec ce que Broussaille est devenu. Les intentions sont bien présentes, mais scénario et dessin semblent ne jamais vraiment en harmonie. Il m'est difficile de pointer exactement ce qui me dérange dans cette histoire. C'est comme si elle comportait des éléments antagonistes, portant la schizophrénie induite par des co-auteurs qui ne sont plus sur la même longueur d'onde. Cette histoire aurait sans doute mieux fonctionné avec le Broussaille des Sculpteurs de Lumière, mais la Nuit du Chat a changé la donne.
Broussaille revient une dernière fois, avec Frank Pé seul aux commandes, avec un Faune sur l'épaule. Dans cet album, Frank Pé semble boucler la boucle. Il ouvre l'album avec deux récits qui sont en fait de nouvelles versions de récits réalisés pour les papier de Broussaille. Ensuite, il continue dans un vagabondage contemplatif qui lui sert de prétexte à développer cette même ambiance bucolique et un propos qui dérive rapidement sur un manifeste dans lequel Broussaille, plus que jamais alter ego de Frank Pé, livre sa vision du monde. Il parle aux arbres, aux animaux, s'emporte sur la société de consommation... La liberté de ton est totale et désarçonnante. Pour lui, l'écologie représente un rapport intime à la nature. Ce rapport est même d'ordre spirituel et personnifié par l'archétype du Faune. Dans ce livre, il ose parler d'ésotérisme et de mysticisme. Cela demande un réel courage de sa part, puisqu'il s'expose directement aux critiques, auxquelles il tente déjà de répondre par l'intermédiaire de Broussaille. De fait, que ce soit sur BDGest ou Bulle d'Air, ce dernier tome est celui qui récolte la moins bonne note de toute la série.
Dans un passage, Broussaille lit un extrait d'un livre du philosophe Jean Biès. Cherchant quelques information sur cet auteur, j'ai trouvé un passage qui traduit particulièrement bien ce que Frank Pé tente de transmettre avec le Faune:
La Nature se révèle à nous non plus comme une somme quantitative de productions matérielles exploitables, mais comme une «théophanie», ou manifestation divine, un miroir réfléchissant ici-bas le monde des archétypes, tel qu'il est possible de les reconnaître, par exemple, dans le désert ou la forêt.On peut parler de fatras new-age ou ésotérique. Je connais pas vraiment la pensée de Jean Biès, fortement teintée de sagesse orientale, sur laquelle je n'ai donc pas d'avis autorisé. Un rapide tour sur son site indique:
Dans des styles et des genres différents, cette oeuvre se propose, en une période particulièrement critique, de fournir des "clés de vie", de rendre une âme à un monde qui l'a perdue, et d'oeuvrer à l'urgente préparation de l'avenir par un retour au spirituel.Il n'est pas étonnant que ce livre soit également le dernier pour Broussaille. Il marque la fin d'une révolution. Depuis les papiers de Broussaille, Frank Pé est revenu à ses premières préoccupations, mais abordées avec un nouveau regard, marqué par son parcours d'auteur et d'homme. Sans tomber à proprement parler dans le sentiment religieux, on ne peut nier que ce dernier album ressemble à l'expression d'une révélation ou d'une illumination.
Comment continuer Broussaille une fois cette révolution achevée ? Ce Faune sur l'épaule marque la fin de Broussaille. Il y eut bien un dernier album, en tirage limité, réalisé pour une exposition en Australie, qui reprend le motif du faune. mais il n' s'agit tout au plus que de post-scriptum.
jeudi 19 juillet 2012
Fantalia, d'Andreas (1986, éditions Magic Strip)
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Cliquez pour accéder à l'album sur Picasa |
Publié en 1986 chez Magic Strip, Fantalia n'a jamais été réédité: originaux dégradés, films perdus... je me permets de mettre ces scans à disposition puisque les chances de le voir rééditer un jour sont pour ainsi dire nulles et je pense ne porter préjudice à personne.
J'ajoute un texte basé sur une chronique que j'avais réalisé pour le site bulle d'air
Dans l'œuvre d'un auteur, certains livres acquièrent un statut particulier, dû en général à leur singularité ou leur rareté. Fantalia combine rareté et singularité, ce qui en fait un livre particulièrement recherché par tout amateur d'Andreas.
Paru chez l'éditeur Magic Strip, les originaux ont été accidentellement détruits et les films perdus, rendant quasi impossible toute tentative de réédition. On peut encore en dénicher des exemplaires en chinant ou sur des sites commes eBay, mais souvent à des prix prohibitifs. Heureusement, des scans sont accessibles sur le site de Quentin (ainsi que nombreuses autres histoires courtes, inédites en albums... merci à lui). Voici pour la rareté de l'objet.
Fantalia, aussi décliné en portfolio, est une commande de l'éditeur, qui n'imposa que quelques contraintes d'ordre techniques : recto en couleur et verso en N&B, format carré et grandes cases muettes. Pour le reste, Andreas jouit d'une liberté créatrice totale.
Nous sommes alors en 1986. Andreas est un auteur qui s'est installé dans la profession. Il alterne une série, Rork, et des livres indépendants (on ne parle pas encore de one-shots) comme Cromwell Stone ou la caverne du souvenir. Il vient également de publier Cyrrus, premier tome d'un ambitieux diptyque aux Humanoïdes Associés. Mais comment vit-il ce statut d'auteur ?
Fantalia apporte un élément de réponse, qui sonne comme un cri d'angoisse. Dans un style qui peut rappeler les novels in woodcuts de Lynd Ward, il met en scène un homme seul qui se retrouve assailli dans un monde coloré et chatoyant, jusqu'à le mener à la folie.
Récit à forte portée symbolique, qu'on pourrait interpréter comme l'angoisse de l'artiste qui voit sa solitude créatrice confrontée aux réalités de la vie (Andreas est alors jeune papa), et qui panique à l'idée de ne pas pouvoir assumer les responsabilités et les sollicitations que cela entraîne. Sans doute le plus autobiographique des livres d'Andreas, qui joue parfaitement du format pour traduire toutes les émotions contradictoires qui émanent de ce récit.
Fantalia est un livre-objet particulièrement complexe, riche de sens et de trouvailles, dont la chute rattache métaphoriquement le livre et son auteur, d'une manière inattendue. Un livre noir et dépressif, qui mériterait d'ailleurs une analyse plus complète.
jeudi 5 juillet 2012
Quand Ric Hochet rencontre Rork
Quelques informations supplémentaires sur cette planche, trouvée sur BDParadisio (merci à wvp)
En matière de Rork inédit, il reste encore la planche des Aventures mystérieuses et rocambolesques de l'Agent spatial, un cadavre exquis publié dans Tintin en mai 1986 (N°22 en Belgique ; N°559 en France). Elle précède le retour de Rork au sein de l'hebdomadaire avec Le Cimetière de Cathédrales.
mardi 3 juillet 2012
L'or et l'esprit, tome 1 par Rochette et Legrand

Sa bande dessinée la plus connue reste le Transperceneige, fable post-apocalyptique de Jacques Lob, seul scénariste primé à Angoulême. Mais il ne faut pas négliger ses collaborations avec Benjamin Legrand. Outre la suite du Transperceneige et Requiem Blanc, j'ai une affection particulière pour L'or et l'esprit.
La Terre s'épuise dans une guerre intergalactique qu'elle est en train de perdre. Loin des combats, un groupe de soldats et des scientifiques sont englués sur une planète particulièrement inhospitalière, "Deux Lunes", à priori sans intérêt stratégique. Ils espèrent y découvrir une nouvelle source d'énergie qui pourrait leur permettre de reprendre l'avantage contre leurs adversaires. Ignorant la nature de ce qu'il cherchent, ils explorent à l'aveuglette, tentant d'établir le contact avec les indigènes. Mais ils sont prêts à tout, et plus encore pour arriver à leurs fins.
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Marvano, la guerre éternelle, une représentation SF 'classique' |
Pour accentuer cette opposition, les planches se déroulant dans le QG terrien, seul endroit à peu près sûr pour les humains, tranchent par un trait plus classique et une palette grisâtre et métallique, à l'opposé des teintes glauques et organiques des planches se déroulant à l'extérieur.
La grande originalité de cet album, vous l'aurez compris, est qu'il ne se contente pas d'utiliser le dessin pour une représentation purement descriptive des événements. Ses variations enrichissent le récits d'impressions et de sensations étonnantes, jusqu'à une conclusion surprenante, qui rappelle que Rochette est également peintre.
On pense à la Guerre éternelle de Marvano, d'après Joe Haldeman, mais il y a surtout un univers complètement original qui augurait d'une série malheureusement mort-née. Un deuxième épisode est paru dans les pages d'(A Suivre) mais ne sera jamais repris en album. Ce Tribut peut malgré tout se lire de manière indépendante, malgré une conclusion abrupte.
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La Viande, une peinture de Jean-Marc Rochette |
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