Dans une des premières notes
de ce blog, j’avais parlé des Gens de France et d’Ailleurs .
J’y avouais ne jamais m’être intéressé à ses autres bandes dessinées même je n’excluais
pas de m’y pencher un jour. Je craignais qu’elles
aient mal vieilli. Les
couvertures ont en effet un cachet très années 80, à cause de la technique particulière
utilisée par JeTeulé.
Puis la curiosité fut la plus forte et je me suis donc lancé avec ce Bloody Mary, une adaptation d'un roman de Jean Vautrin.
Puis la curiosité fut la plus forte et je me suis donc lancé avec ce Bloody Mary, une adaptation d'un roman de Jean Vautrin.
Parlons de cette technique utilisée par Jean Teulé.
Bien qu’ayant une formation en dessin assez poussée, dessiner l’ennuyait. Il
considérait qu’il fallait utiliser tout outil disponible. Lors d’une interview réalisée par Thierry Groensteen en 1987, il déclarait même
[...]si j’utilise la photo, c’est que j’estime qu’il faut se servir des outils de son époque. C’est dommage de se contenter encore d’un crayon et d’une feuille de papier alors qu’on dispose de nouveaux outils pour créer des images. La vidéo et l’informatique m’intéressent pour la même raison.A quoi bon continuer à s’écrire quand on a le téléphone ?Absolument. Je n’écris jamais, d’ailleurs. La dernière fois que quelqu’un a reçu une lettre de moi, ça remonte à bien longtemps...[...]
Sa technique s’apparentait au “copy-art”, qui se
basait sur l’usage de photocopies et de collages d’images. Il était d'ailleurs proche du Groupe Bazooka, qui fut particulièrement actif et renommé dans ce domaine. Jean Teulé travaillait à partir de photographies. D'un négatif, il réalisait
3 tirages (sur-exposé, sous-exposé et exposé normalement). De chaque tirage, il
faisait 3 photocopies (sur-exposé, sous-exposé et exposé normalement) qu'il
combinait, partant de la photocopie "normale" du tirage
"normal" sur lequel il effectuait découpages et collages pour
construire son image et composer la lumière qu'il désirait (et non celle du
soleil). Enfin, sa muse Zazou Gagarine s’occupait de la mise en couleur.
Il
faut d’ailleurs noter qu’au début, Teulé travaillait en noir et blanc avant de
profiter de la réédition de ses albums Virus et Banlieue Sud chez Glénat (sous
le titre Copy-Rêves) pour les faire mettre en couleurs par Zazou Gagarine. Voici par exemple une planche de Virus dans sa version noir et blanc et sa version mise en couleur.
Si Teulé avait persévérer dans la bande dessinée, il aurait probablement été parmi les pionniers de l’utilisation de l’informatique dans la bande dessinée.
Bloody
Mary fait figure d’exception dans sa bibliographie. Il s’agit de la seule
adaptions qu’il ait réalisée et le seul album, avec Sita-Java co-scénarisé avec
Gourio, qu’il n’a pas scénarisé seul. Ce fut même Jean Vautrin, l’auteur du
roman, qui a eu l’idée de cette adaptation et a directement voulu que ce soit
Teulé qui l’illustre. Ce dernier refusa dans un premier temps avant de changer d’avis
parce que le roman avait pour thème la banlieue, sujet qui lui tenait alors à
coeur
Résumer l'intrigue de Bloody Mary serait un peu
compliqué. Il met en scène une galerie de personnages fracassés, solitaires et
délirants dont les vies entrent en collision comme des trains en perdition. Ces
personnages sont tous excessifs et paumés entre poésie urbaine et folie
malsaine.
Il y a un égoutier qui s'est construit un petit étang de pisciculture dans les égouts de Sarcellopolis, où il pêche des truites à deux têtes
Il y a Sam Schneider, flic à tendance facho,
psychopathe et raciste, marié à une femme lascive et schizo.
Il y a Locomotive, noir rigolard et fataliste,
personnage qui serait taxé de stéréotype raciste de nos jours. Mais vu les
autres personnages, tout aussi stéréotypés, ce serait injuste d'accuser les
auteurs de racisme. Leurs personnages sont tellement excessifs et caricaturaux
qu'isoler le cas de Locomotive n'aurait aucun sens. Ce livre est tout autant
anti-militariste, anti-flic, sexiste, anti-gosse et j'en passe. Tous sont
ridicules et pathétiques. C'est un peu le même problème avec Jules Feiffer,
accusé de sexisme pour la représentation des femmes dans The Explainers, ses strips de The Village Voice, qui se défendait
en rappelant que si ses personnages féminins n'étaient pas gâtés, le traitement
réservé aux personnages masculins était au moins aussi pire.
Il y a Victoire, la coiffeuse au ventre chaud.
Il y a JY Grandvallet, troufion qui l'a très
mauvaise à l'encontre de Reig Maixence, petit gradé dont la bêtise n'a d'égale
que sa méchanceté
et il y a Bloody Mary...
Un (pas bien) joli petit
monde
Et un beau bordel en
devenir
Une grenade dégoupillée
qui va leur péter à la gueule.
Il faut vraiment se
rappeler que ce livre date du début des années 80 pour en profiter pleinement.
Beaucoup de parti-pris employés par les auteurs n'ont plus court. Mais bordel
que ça fait du bien par où ça passe.
Une bonne dose de
misanthropie bien méchante
Qui tache
Qui n'a peur de rien
Jusqu'aux dernières pages
qui enfoncent le clou.
Hier n'était sans doute
pas très jouasse.
Aujourd'hui, c'est la
merde.
Et demain ?
Depuis, la banlieue a
cessé d’intéresser Teulé. En 1987, il déclarait
Ça a cessé de m’intéresser quand les gens d’ACTUEL ont commencé à en parler d’une façon détestable, très snob, en disant «On est allé chez les zoulous de telle ou telle municipalité pourrie, quel grand frisson on a pris »... Je me suis dit que je ne devait plus toucher à la banlieue. Désormais, mon truc sera la province....
Suivront les Gens de France et d’Ailleurs, un prix du meilleur album à Angoulême en 1990, qui faisait suite à
un prix des chroniqueurs de BD (ancêtre de l’ACBD) reçu en 1984 pour Bloody Mary.
Paradoxalement, cette reconnaissance lui fera arrêter la bande dessinée
Le prix d’Angoulême l’était pour contribution exceptionnelle au renouvellement du genre. Quand on m’a remis cela, j’ai cru que j’étais mort ! Ça faisait prix posthume… Comme cela intervenait au moment où Bernard Rapp me proposait de venir participer à l’émission l’Assiette anglaise, je m’étais dit que je n’allais pas être capable de tout faire ! Je ne pouvais faire de la BD et l’émission de Rapp toutes les semaines. J’ai donc arrêté le dessin.
Il reviendra pourtant à la bande dessinée par des chemins détournés. D'abord par le truchement de son amie Florence Cestac qui le persuada d'écrire le scénario d'une belle biographie de Charlie Schlingo, au titre évocateur: Je voudrais me suicider, mais j'ai pas le temps. Puis plusieurs de ses romans ont été adaptés en bande dessinée: Charly 9, Je, François Villon, Le Montespan et Le magasin des Suicides. Je dois avouer n'en avoir lu aucune.
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