vendredi 19 juin 2015

Buscavidas, de Trillo et Beccia: petit catalogue de la méchanceté humaine


 

Buscavidas, étrange personnage lunaire, parcourt les rues de Buenos Aires. Il collectionne les histoires, qu'il classe soigneusement par thèmes.
Dans un Buenos Aires vicié par la dictature, il ne récolte que des histoires morbides, violentes, abjectes...
Buscavidas, le cherche-vie, traque les histoires. Il recherche les gens qui semblent avoir quelque chose à raconter.
Une femme seule sur un banc, un homme attablé dans un bar face à un verre qui attend d'être de nouveau rempli... il sait les reconnaître.







Réalisées au début des années 80, alors que la dictature argentine en est train de s'effondrer après la défaite des Malouines, ces planches dressent un catalogue de tout ce que la nature humaine peut engendrer de pire. Pour les auteurs, c'est surtout un prétexte pour montrer une société malade et dénoncer la dictature. D'ailleurs, les arrière-plans ne manquent pas de détails lourds de sens: "si" et "no" péremptoires, silhouettes lugubres d'hommes en uniformes, arrestations musclées qui se fondent dans le décors... Trillo et Breccia, loin d'ignorer la chape de plomb qui recouvre leur pays, l'intègre de manière insidieuse, pour mieux la dénoncer.

Buscavidas agit comme un miroir. Ce personnage sans visage pousse les gens à se confier à lui, comme on le ferait à un psy. Mais il ne faut attendre aucune bienveillance de Buscavidas.. Il amène les gens à se confier, mais il ne compte pas les aider. Il n'est intéressé que par ces petites histoires, sans se soucier de leur morale ou leur absence de morale. Et si l'histoire n'en vaut pas la peine, il trouvera un moyen de se dédommager.
Breccia traduit l'ambiance oppressante de ces histoires en travaillant en négatif. Il travaille à l'acrylique blanche sur des pages noircies au préalable à l'encre de Chine.



Dans une case, il dessine un homme nu, lui ajoutant un rectangle marqué d'un C sur le sexe. Auto-censure de sa part ? Plutôt une manière de dénoncer la tartufferie de la censure, la soulignant de manière tellement ostentatoire que l'imagination n'a aucun mal a imaginer ce quelle tente de dissimuler.



Buscavidas est un livre volontairement outrancier dans sa dénonciation de la méchanceté humaine. Breccia s'y montre particulièrement à l'aise, adoptant un style volontairement grotesque. Les perspectives sont tordues, les corps déformés...
Trillo et Breccia manient cette forme d'humour cruel que l'on trouvait dans les films italiens comme Les Monstres.
Tous des monstres
Et ne vous laissez pas endormir par le physique inoffensif de Buscavidas. Si son physique évoque à la fois un Pierrot lunaire et une baleine, il n'en est pas moins dangereux.
Tous des monstres
Sans exception