J’ai toujours eu un rapport compliqué avec Blutch. Il fait partie de ces auteurs que j’admire sans pour autant réussir à m’enthousiasmer complètement pour son travail. Son dessin est virtuose, mais son propos me laisse plus circonspect. Si j’aime Blotch, son alter-ego détestable transposé dans le Paris du début du XXème siècle, j’ai toujours eu plus de mal avec d’autres de ses livres.
Celui qui me laisse le plus mauvais goût dans la bouche
reste ce Lune L’Envers.
Je voulais le relire depuis longtemps.
C’est chose faite.
Je me souviens des rumeurs avant la sortie de ce livre, du
désir de Blutch de reprendre la maquette de la mythique collection Histoires Fantastiques, fleuron du catalogue Dargaud des années 70. Dès les premières
pages, l’influence (assumée) de Forest saute aux yeux. Le dessin est magnifique,
rehaussé par le travail admirable d’Isabelle Merlet sur les couleurs.
Pourtant, dès la première page, le malaise qui s’installe.
Liebling ("chérie" en allemand),
une adolescente, peint dans sa chambre.
Survient sa mère. Elle est venue la trouver pour lui révéler
le secret des femmes: une capsule de cyanure à prendre si la vie devient
insupportable. Parce que le vie des femmes est loin d’être une partie de
plaisir. S’il lui faudra être autonome et gagner sa vie, elle devra aussi
élever les enfants, tenir son foyer, n’être jamais fatiguée, porter de jolie
chaussures, être desirable…
Savoir cette pilule à portée de main, cette porte de sortie (à
l’image du Mother’s little helper des Rolling Stones, qui dénonçait déjà la
condition des femmes), lui a apporté une certaine sérénité. Le ton est donné. Ce monde n’est pas celui des femmes.
La suite ne sera d’ailleurs qu’une succession d’humiliations
diverses.
Dès les premières
pages, un chien mord les fesses de Liebling. Le propriétaire ne trouve rien de
mieux à faire que de mordre à son tour les fesses de l’héroïne. On sent
l’illustration d’un fantasme un peu malsain.
Le reste à à l’avenant.
Liebling se présente alors à son nouveau travail. Elle est installée devant une machine informe, qui ressemble à un amas organique dans laquelle elle doit glisser les main pour effectuer des “manipulations”. Il est difficile de ne pas y voir des glory holes. Elle est d’abord sous les ordres d’une femme aux allures de maîtresse SM. Lors d’une scène, elle lui donne littéralement la becquée en lui avouant son envie de la profaner.
Liebling est ensuite dégradée et se retrouve sous les ordres d’une mégère en tablier et bigoudis qui évoque la pire caricature de la femme au foyer. Elle se trouve assignée à une machine vétuste avec, pour toute chaise, une sorte de pieu qui évoque une installation SM. Le reste de l’histoire multiplie les femmes-stéréotypes: la mégère, l’amante fanée dont on se lasse et qui ne veut pas comprendre, la maîtresse domintarice, la substitut à la maman chérie, la mère castratrice, la femme-enfant…
La question que l’on peut se poser est celle de la position
de l’auteur. Blutch adhère-t-il à cette forme de sexisme ou est-ce au contraire
une critique ? D’une certaine manière, il reprend une vision de la femme qu’on
trouve dans pas mal d’oeuvres de fiction des années 70, période dont Lune L’Envers
se nourrit. Les hommes ne sont d’ailleurs guère flattés dans cette histoire. A
ceci près que s’ils sont veules, voire ridicules, ils restent les maîtres du
jeu. Alors que tout le livre est traversé d’outrages faits aux femmes.
Le travail d'Isabelle Merlet |
Et de rester dans l’ombre.
Se greffe sur cette histoire une critique féroce du monde de l’édition.
Lantz (un autre alter-ego de Blutch) est
un auteur reconnu. Mais depuis trois ans, il peine à donner une suite à sa série
à succès: “Le nouveau nouveau testament”. Lantz est adepte des méthodes
artisanales. Son éditeur, Mondomédia (allusion transparente à Média Participation), préfère les méthodes modernes, où la
création laisse la place à la production. Des opérateurs travaillent sur
des machines qui créent sans même s’en rendre compte. Liebling est l’une d’entre
elle. L’éditeur décide de remplacer Lantz et son choix se porte sur Liebling.
C’est alors que les choses se compliquent.
C’est alors que les choses se compliquent.
Le propos de Blutch est brouillé. L’univers qu’il crée est très réussi. Il y développe
un monde de science fantasmée qui rappelle les utopies futuristes des années
70. Mais cette image de la femme qu’il véhicule est-elle pour lui inhérente à
cette période ou est-ce la vision qu’il partage ?
Les femmes y sont sans cesse humiliées, exploitées,
utilisées.
Et je me retrouve face à un livre magnifique dans la forme,
dans sa construction, mais qui me met mal à l’aise, parce que son propos fleure
trop le sexisme ordinaire. Tellement ordinaire que la majorité des critiques
n’y ont relevé que la satire brillante du monde de l’édition, sans s’arrêter à
la chosification systématique des femmes.
La conclusion ambiguë du récit peut être interprétée comme une
revanche prise par Liebling. Il y a même une délicieuse ironie. Mais le mal est déjà fait. Cette conclusion
apparaîtrait presque comme une pirouette pour finalement rééquilibrer les
comptes.
Sauf qu’ils sont biaisés depuis le début. Il ne reste rien à Liebling. Elle n’a jamais rien eu, contrairement aux hommes. C’est un marché de dupes que Blutch lui présente.
Sauf qu’ils sont biaisés depuis le début. Il ne reste rien à Liebling. Elle n’a jamais rien eu, contrairement aux hommes. C’est un marché de dupes que Blutch lui présente.
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