J'ai découvert le travail d'Adrian Tomine il y a une quinzaine d'année avec 32 Stories, une anthologie de ses premiers récits parus dans son fanzine Optic Nerve. J'ai vite enchaîné avec Les Yeux à Vif, recueil publié par Delcourt, reprenant des histoires plus tardives (réédité en version augmentée en 2008). J'accrochai vite à son univers froid et perturbant. Pourtant, après Blonde Platine, je n'ai plus rien lu de lui, à part son petit livre sur la préparation de son mariage, mais qui reste anecdotique et peu représentatif de son travail.
Il fut sans doute victime de mon
désintérêt pour la bande dessinée au milieu des années 2000. Au départ, j'avais négligé son dernier livre, Killing and Dying
(Les Intrus, chez Cornélius). Finalement, je l'ai acheté dans un comics store
de Camden Store, plus ou moins au moment ou le festival d'Angoulême se prenait une dernière fois les pieds dans le tapis, lors d'une cérémonie de clôture qui a fait du bruit (et dont Tomine fut l'une des "victimes").
Toujours est-il que j'ai entamé la
lecture de ce recueil en me souvenant d'une discussion à laquelle j'avais
participé il y a bien longtemps sur un forum. Je me rappelais des grandes lignes de mon
argumentaire. Par curiosité, j'ai relu dans la foulée Blonde Platine, ainsi que des extraits de 32 Stories
et des Yeux à vif. Cela m’a permis de prendre conscience de l’évolution
de Tomine, qui conserve malgré tout une patte très identifiable.
Les histoires d'Adrian Tomine sont entièrement
articulées autour des problèmes relationnels de ses personnages. Tous semblent
marqués par un profond mal-être. Dans leur posture même, ils semblent toujours
écrasés par les circonstances. Ils sont souvent passifs, ballottés par les
événements, à la limite de l’invisibilité. Ils représentent d’une certaine
manière la caricature du cas social, le paumé incapable d’entretenir des
relations sociales. Mais il lui arrive d’être tenté par autre chose… d'espérer sortir de
ce carcan.
Pour échapper à ce mal-être qui l’opprime littéralement, il se laisse tenter par la transgression.
La séduction de l’interdit.
Pas tant l’interdit que la société lui impose mais celui qu’il s’est imposé à lui-même.
Pour échapper à ce mal-être qui l’opprime littéralement, il se laisse tenter par la transgression.
La séduction de l’interdit.
Pas tant l’interdit que la société lui impose mais celui qu’il s’est imposé à lui-même.
Pourtant sa nature ne tarde jamais à reprendre
le dessus.
Dans l’une de mes histoires favorites des Yeux a vif (Echo Avenue), un couple découvre qu’en face de chez
eux, un nouveau couple s’est installé. Il n’y a pas encore de rideaux aux fenêtres. Ils profitent donc d'une vue privilégiée sur leur intimité. Ils les surprennent en plein jeu sexuel bizarre. Amusés, ils éteignent les lumières
pour pouvoir profiter du spectacle en toute discrétion. Mais une fois que le "spectacle" s’achève, le mari panique soudain, pressant sa femme de s’éloigner de la
fenêtre. L’excitation du voyeur s’est muée en angoisse d’être observé. Comme si
avoir cédé à la transgression les exposait à une forme de tribut.
On y trouve aussi une caractéristique des
histoires d’Adrian Tomine, qui s’achève souvent sur fin ouverte. Il n’y a pas de
résolution. Les personnages se retrouvent face à un choix, une croisée des chemins.
Quelle sera leur vie par la suite ? Tomine ne donne jamais de réponse claire. Il
laisse des indications qui peuvent induire une discussion. Mais souvent, cette
fin ouverte apparaît comme le moment ou Tomine baisse le rideau sur son petit théâtre,
rendant leur liberté aux personnages.
D’une certaine manière, Tomine capture
ses personnages, les exposent à une épreuve, avant de leur rendre la liberté aussi
brusquement qu’il les leur a enlevé. Il persiste d’ailleurs une froideur chez Tomine,
qui ne semble pas éprouver beaucoup d’empathie pour ses personnages.
Il ne les juge pas, ne les plaint pas.
Il les observe.
Et nous invite à observer avec lui.
Qu’essaye de nous dire Adrian Tomine ?
Essaye-t-il de nous dire quelque chose ?
Se contente-t-il d’observer ?
Il ne les juge pas, ne les plaint pas.
Il les observe.
Et nous invite à observer avec lui.
Qu’essaye de nous dire Adrian Tomine ?
Essaye-t-il de nous dire quelque chose ?
Se contente-t-il d’observer ?
Dans Escapade Hawaïenne (issu de Blonde
Platine), il laisse Hillary Chan qui attend si l’homme qu’elle vient de
rencontrer la rejoindra ou non. Dans Killing and Dying, il abandonne un père
et sa fille au moment ou plus aucun mensonge n’est possible, mais qu’ils ne semblent pourtant pas prêts à cesser de se mentir pour maintenir je ne sais quelle illusion.
Dans Echo Ave, il abandonne ce couple de voyeurs à une brusque montée d’angoisse…
Rien ne se résout jamais chez Tomine. Cette constante se maintient depuis les
premiers récits. L’évolution ce fait par contre dans la
forme. Des premiers récits très courts et parfois
marqués par une ambiance irréelle, au style graphique assez uniforme,
Tomine a évolué vers des récits plus longs et expérimentant de plus en plus
dans la forme.
Les quatre récits composant Blonde
Platine sont tous assez semblables dans leur structure et leur graphisme, très classiques.
Pour Killing and Dying, Tomine alterne les styles et plusieurs récits sont en couleur. Hortisculpture est raconté sous forme de strips évoquant les bandes humoristiques de la presse (un procédé employé par Daniel Clowes, une des influences assumées de Tomine dans Ice Haven) alors que Translated, from the Japanese se compose de grandes cases de décors sans personnages (mais pas sans présence humaine, limitée à des éléments de décors), d’une précision naturaliste rappelant le trait de Chris Ware, accompagné de longue récitatifs qui semblent être extraits d'une longue lettre de confession. Intruders revient à un style plus brut, proche des premiers récits de Optic Nerve. Certaines histoires conservent un style plus réaliste, d’autres paraissent plus simples dans leur approche graphique, faussement humoristique (Go, Owls).
Pour Killing and Dying, Tomine alterne les styles et plusieurs récits sont en couleur. Hortisculpture est raconté sous forme de strips évoquant les bandes humoristiques de la presse (un procédé employé par Daniel Clowes, une des influences assumées de Tomine dans Ice Haven) alors que Translated, from the Japanese se compose de grandes cases de décors sans personnages (mais pas sans présence humaine, limitée à des éléments de décors), d’une précision naturaliste rappelant le trait de Chris Ware, accompagné de longue récitatifs qui semblent être extraits d'une longue lettre de confession. Intruders revient à un style plus brut, proche des premiers récits de Optic Nerve. Certaines histoires conservent un style plus réaliste, d’autres paraissent plus simples dans leur approche graphique, faussement humoristique (Go, Owls).
Translated, From the Japanese |
Par contre, Tomine se fait très subtile
dans sa narration, distillant de petits détails plus révélateurs qu’il ne paraissent
de prime abord.
Killing and Dying |
Beaucoup de subtilité chez Adrian Tomine, qui en fait un auteur vraiment intéressant.
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