mercredi 3 juillet 2013

De l'importance de la maquette d'un livre, une spécialité anglo-saxonne

Il ne faut pas juger un livre par sa couverture, dit-on.
Certainement pas dans le monde de l'édition francophone. Les couvertures des livres peuvent être au mieux considérées comme sobres, au pire comme austères. le contraste est énorme lorsqu'on regarde les livres édités par les anglo-saxons. Loin de la couverture blanche de Gallimard ou le cadre rigide de la NRF, les couvertures de livres anglo-saxons claquent visuellement. On peut y voir une culture tape-à-l'oeil qui tente de capter le regard de l'acheteur potentiel, une surenchère d'effets vulgaires pour faciliter la vente. Mais n'est pas aussi une manière de déjà intriguer le lecteur dès ce premier contact avec l'objet-livre ? Le résultat peut évidemment être horrible. A titre d'exemple, la comparaison entre l'abominable couverture de l'édition américaine de Freedom, de Johnathan Franzen, et celle, plus élégante, de son édition française.




D'une certaine manière, les anglo-saxons semblent avoir gardé un rapport au livre-objet (voir la note que j'ai consacré à une réédition de Farenheit 451),  et conserve son identité individuelle, là où les francophones y verraient plutôt un produit culturel, qu'il convient de ne pas dénaturer en la salissant d'une image. Une couverture illustrée serait vulgaire, désacraliserait sa qualité littéraire. Effet pervers désiré ou non, le livre se retrouve emballé dans une maquette souvent austère mais aisément identifiable, qui met surtout en avant l'éditeur ou la collection, plus que l'auteur.
L'apparition de couvertures illustrées s'est aussi fait au prix de contraintes un peu ridicules. Manu Larcenet relatait sa désillusion lorsque le dessin de couverture pour un livre de Patrick Cauvin fut massacré par le maquettiste.
Dans une moindre mesure, les collections poche transposent le même comportement. Les couvertures illustrées font leur apparition, mais les collections restent très aisément identifiables. Et souvent, l'illustration de couverture entrent dans le cadre bien précis d'une maquette toute puissante (la bande blanche de Folio ou le cadre crème de Babel). Ironiquement, l'apparition de collection de livres de poche et de leurs couvertures illustrées aura des effets radicalement différents aux USA et en France. Les ligues de vertus américaines s'émurent de couvertures trop explicites, violentes ou chargées sexuellement. Certains intellectuels français condamnèrent une dérive qui  plaçait entre toutes les mains les substituts symboliques de privilèges éducatifs et culturels. Le livre serait donc le  symbole d'une certaine élite qu'il ne faudrait en aucun cas démocratiser.
Le livre dans la culture française est donc bien perçu comme un objet sérieux, privilégié, grave... égayer un livre d'une couverture illustrée, c'était le "salir". Plus le livre est sérieux, plus il se doit d'être austère. Seuls les livres "vulgaires" éprouvent besoin de se faire remarquer derrière une jaquette racoleuse. D'ailleurs, les éditions poches de Marc Lévy sont aisément identifiables  dans les rayonnages de libraire: les couvertures, qui respectent déjà un code couleur précis,débordent sur la tranche. On est loin de la belle uniformité de certains étalages:


D'ailleurs, si vous tapez couverture de livre dans google et la première référence pertinente  concernant le sujet est un article de Slate: Pourquoi en France les couvertures de livres sont-elles si sobres?

Par contre, les mots-clé book cover renvoient à de nombreux de nombreux sites et blogs consacrées à ce sujet. J'avais déjà signalé le design génial d'une réédition de Farenheit 451, mais à travers le site Book Cover Archive, j'ai pu dénicher quelques autres merveilles. Ce site a d'ailleurs la particularité de mettre en avant les designers qui ont réalisés ces couvertures, preuve de l'importance accordée à cette activité.
Tout cela pour montrer quelques couvertures que je trouve particulièrement réussies:
une autobiographie de Charles M Schulz, dont la couverture reprend le motif caractéristique du pull de son héros Charlie Brown (design de Chip Kidd)


Pour celle de Carrie Fischer, la princesse Leïa de Star Wars, qui a survécu à une addiction à l'alcool, une couverture ultra-référencée, qui évoque le texte "trapézoïdal" du générique de Star Wars, et une princesse Leïa affalée sur un comptoir, un verre de cocktail à la main. Tout est condensé en une seul image (par Evan Gaffney)

 Les amateurs de bande dessinée apprécieront la référence (Mark Cozza)


Pour un livre intitulé Faster (plus vite), la notion de rapidité est évoquée par la disparition des voyelles. Simple mais efficace (par Jamie Keenan)


Pour le même livre, Chip Kidd opte pour une autre approche, mais tout aussi efficace


Une autre idée simple mais efficace: un mot du titre remplacé par un dessin (the Crow's vow, design par David Drummond)



Il n'est pas interdit de jouer avec la maquette d'une collection mythique.


Et quelques autres exemples qui me plaisent beaucoup

John Gall

David Drummond

Amy Goldfarb



Même en bande dessinée, on peut retrouver les mêmes tendances, comme avec les éditions de Habibi ou de Louis Riel. Des objets originaux, il ne reste qu'un détail intégré dans une maquette pré-existante rigide




3 commentaires:

  1. Article très intéressant. Merci. Notez qu'un éditeur comme Monsieur Toussaint Louverture soigne particulièrement ses couvertures de romans, de manière souvent originale ("Enig Marcheur", "L'attaque des dauphins tueurs").

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci beaucoup pour votre commentaire
      en effet , j'avais pensé le mentionner, ainsi que les éditions Attila, qui démontre également une vision différente de l'habillage du livre.

      Supprimer
  2. J'ajoute pour ma part l'excellente et jeune maison d'édition "Zones Sensibles" (Par ailleurs domiciliée à Bruxelles), qui non contente de proposer un catalogue passionnant, s'est associé au non moins excellent studio graphique "The Theatre of Operations" afin de promouvoir la forme de leurs livres autant que leurs contenus.

    À ce titre, je recommande "Yucca Mountain" de John D'Agata, qui vaut d'être lu autant que vu.

    RépondreSupprimer