Les années 70 en tant qu'ère culturelle conservent une part de
fantasme. Il est difficile de circonscrire son impact culturel en une
décennie de calendrier. Barry Miles, l’auteur de ce livre, considère,
culturellement, une période qui irait de l’avènement des Beatles jusqu’à la fin
du mouvement punk, soit de 1963 à 1977. Selon lui, beaucoup d’excès associés
aux années 70 ont d’ailleurs eu lieu dans la seconde moitié des années 60.
Je n'ai pas connu cette période. Pourtant, je ne peux nier qu'elle me
fascine tant elle représente en terme d'évolution culturelle et sociale.
J'ai toujours l'image d'une société propre et policée qui a prévalu
jusqu’au coeur des années 60. Puis ce fut
l’explosion que m’évoquent quelques noms qui claquent comme les symboles d’un
monde neuf: Woodstock, les Rolling Stones, Lucy in the Sky with Diamonds, les
hippies, la Factory de Warhol... Si Elvis Presley choquait par de son déhanché
suggestif, moins de 20 ans plus tard, David Bowie s’exhibait en robe sur la
pochette de The man who sold the world et Warhol promettait 15 minutes de célébrité
aux plus désaxés de ses superstars.
Walk on the wild side…
Puis, après la claque des punks virent les
années 80, qui me paraissent plus aseptisées, presque artificielles. L’avènement
du trader de Wall Street, de l’argent-roi… Gordon Gecko et Patrick Bateman
comme modèle de réussite et un bûcher des vanités permanent.
Les seventies me font l’effet d’une
parenthèse enchantée, une crise d’adolescence qui a déferlé sur le monde
occidental avant de rentrer dans le rang.
Les seventies, ce furent dans le désordre
le nouvel Hollywood, qui a ringardisé le cinéma de papa, une explosion musicale
sans précédent, la libération des moeurs, l’émergence d’une scène contestaire
de plus en plus active…
Ces aventures dans la contre-culture sont
celles de Barry Miles, témoin privilégié de cette période.
Cet Anglais a traversé cette période,
côtoyant certaines figures mythiques de la contre-culture. Cela lui donne une
certaine crédibilité, d’autant qu’il semble avoir traversé cette période sans
trop abuser de substances en tous genres, ce qui lui permet de pouvoir exercer
un regard critique et actif sur cette période.
Barry Miles est un touche-à-tout. Il a
fondé dans les années 60 la galerie/librairie Indica qui fut un haut lieu de la
contre-culture à Londres. C’est d’ailleurs dans cette galerie que John Lennon
rencontra Yoko Ono. Il fut aussi journaliste et correspondant de nombreuses
publications culturelles des années 60 et 70, avant de rejoindre le NME comme
journaliste indépendant.
Il fut aussi proche de quelques
personnalités centrales comme Allen Ginsberg ou William S Burroughs. Ces
survivants de la Beat generation figurent parmi les personnalités centrales de
la contre-culture, à la fois modèles et membres actifs de ce mouvement
protéiforme.
Au fil des chapitres qui couvrent les
années 1970 à 1977, nous découvrons différents aspects de cette période. Nous pénétrons d’abord la
ferme-communauté d’Allen Ginsberg, qui servait aussi de centre de désintox
gratuit pour pas mal de gens. La drogue et l’alcool y étaient théoriquement
interdits. L’isolement de la ferme obligeait les alcooliques à parcourir 13 km
à pied pour atteindre le débit de boisson le plus proche… de quoi forcer à la
sobriété.
Puis nous rejoignons communautés hippies et mystique de San Francisco,
avec son florilège de doux-dingues, d’artistes d’avant-garde et de
pseudo-gourous à l’égo démesuré. Puis un long détour au Chelsea Hotel, sorte de
cours des miracles qui accueillait son lot d’artistes (dont une jeune poétesse,
Patti Smith, et son compagnon, le photographe Robbert Mapplethorpe, alors
qu’ils n’étaient encore que just kids) et de paumés anonymes avant que Miles ne rejoigne Londres, où il officie un temps comme secrétaire officieux de William S Burroughs.
Barry Miles livre un témoignage d’une
brutale honnêteté. Il lui importe peu d’écorner l’image ce ces protagonistes. Il livre des anecdotes
éclairantes. S’il est admiratif de leur talent, il ne leur voue pas un culte
pour autant. Il n’est pas non plus aveuglé par le mirage d’une période
fantasmée. Il en connaît les travers, les piques-assiettes, les ordures, les
profiteurs... Il n’occulte pas la violence de cette période, ouvrant son livre
sur un attentat du Weather Underground et parlant de la répression violente
dans les campus universitaires, lorsque la police n’hésitait pas à tirer à
balles réelles.
Ce livre m’a permis de m’éloigner d’une certaine imagerie d’Epinal, des gentils hippies (alors qu’Altamont avait déjà sonné le glas de l’utopie) et de
voir un autre aspect que les images policées de la télévision, entre Abba, la
fièvre disco et Maritie & Gilbert Carpentier.
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