Un article qui dort dans mes brouillons
depuis des semaines, sans que je prenne le temps de le finaliser.
Puis un article trouvé par hasard sur Jihadi John, qui semble en partie inspirer ce “Français”,
même si le parcours est différent.
Puis un 13 novembre qui frappe.
Je me demande qui sont ces “français” (j’utilise
les guillemets en référence au titre du roman, puisqu’il est établi que
certains des terroristes étaient français) qui ont commis l’abominable.
Ce roman n’est pas un livre sociologique. Il reste
une oeuvre de fiction, mais qui tente de faire écho à la réalité. Le précèdent
roman (Dawa) de l’auteur traitait déjà de ce thème. Je viens d'ailleurs de tomber sur un article qui insiste sur l'aspect prémonitoire de ce premier roman:
Prémonition ou simple coïncidence ? Julien Suaudeau avait en tout cas vu (ou écrit) juste. En 2014, ce jeune auteur avait publié « Dawa », fruit de huit ans de recherches, de questionnement et de rumination. Dans ce livre noir, nous sommes un vendredi 13 en pleine campagne électorale « dans une France post-républicaine, en proie au vertige identitaire et aux marchandages politiques », lorsque Paris est violemment frappée par six attentats djihadistes simultanés. Un cauchemar devenu réel.
Evreux.
Ni
banlieue, ni province, ni grande ville. Juste un endroit morne et gris, qui
n'offre guère de perspectives.
Il y est
difficile de se projeter dans l'avenir. C'est ainsi que Julien Suaudeau décrit
le cadre de départ de son deuxième roman: Le Français.
J'ai un
peu de mal a parler de ce roman. Pour être
honnête, je ne l'ai pas choisi. Je l'ai lu dans le cadre de l'émission
Livrés à Domicile. Autrement, je ne m'y serais probablement pas
arrêté. Pourtant, son thème est prometteur et Julien Suaudeau opère des choix
vraiment audacieux. Mais on ne juge pas un livre sur ses intentions. Seul le résultat
compte, le plaisir que j'ai éprouvé, ou non, en lisant ce livre.
Nous ne
savons pas grand chose du personnage principal de ce livre. Nous ne le
connaîtrons que sous le surnom du Français. Au détour d'une phrase,
nous apprendrons qu'il est blanc. mais guère plus. Nous savons que son père,
agriculteur, est parti il y a longtemps et ne s'occupe pas de lui. Nous savons
que sa mère travaille dur, et souffre des suites d'un accident de travail mal
pris en charge. Nous savons qu'elle vit avec un certain Nono, qui a l'alcool
violent et ne supporte pas le Français. Nous savons qu'il travaille
dans une petite société de transport, entre livraisons en manutentions.
Pour le
reste, que pense-t-il? Nous ne le savons pas vraiment. Il enchaîne les jours
sans grande ambition.Il n’y a que Stéphanie, une jeune fille qu'il aime
secrètement, pour apporter un peu de chaleur dans sa grisaille quotidienne.
Il est
tout le monde et personne à la fois.
Il se fond dans la masse.
Jusqu'au
jour où il se retrouve impliqué dans une connerie.
Il était
au mauvais endroit au mauvais moment et cela a suffi.
Pour que
son patron le licencie. Non qu'il ait à s'en plaindre ou qu'on lui reproche
quoique ce soit, mais la police est venue. Les gens pourraient parler. Cela
pourrait nuire à la réputation de sa petite société.
Pour
qu'une bande le prenne probablement en grippe et qu'il soit contraint de faire
profil bas.
Pour
provoquer une colère de trop de Nono, qui le frappe une fois de trop.
Il
s'enfuit et trouve refuge chez un ancien collègue: Ali, un vieil algérien. Ce sera
le premier maillon d'une chaîne de rencontres qui vont l'entraîner de plus en
plus loin, jusqu'aux camps d'entraînement de Daesch.
Julien
Suaudeau rappelle opportunément que le chemin de la radicalisation n'est pas toujours
celui que les médias colportent. Régulièrement, les cas particuliers qui sont
évoqués ne rentrent pas dans les cases toutes faites d'un discours médiatique
et politique bien rôdé.
Julien
Suaudeau veut démontrer que n'importe qui pourrait basculer. Il suffit que les
choses se passent mal et l'individu se fait broyer.
Pas
d'imam radical qui a transformé un sous-sol en mosquée. Pas de grand méchant
internet qui capture ses victimes dans la toile.
Et pas un jeune issu de l'immigration, musulman et
vivant au pied des tours de banlieues difficiles.
Le Français est juste un français, anonyme, sans histoire.
Il est
une page blanche qu'une chaîne d'événement remplit, noircit, à son insu.
Les
intentions de l'auteur sont séduisantes et son propos mérite de sortir d'une
vision caricaturale et simpliste. Il nous rappelle aussi qu'on ne naît pas terroriste. On le devient. Derrière le monstre, il y a un être humain qui a été entraîné sur le chemin de la radicalisation. Il ne faut pas l'excuser, mais essayer de comprendre les mécanismes pour être à même de l'enrayer.
Mais
pourquoi n'ai-je pas aimé ce livre ?
Sans
doute parce que je trouve que son propos se brouille en court de route, que sa
réalisation est parfois confuse.
Julien
Suaudeau a fait le pari d'une narration à la première personne. Il veut
visiblement jouer sur un réflexe d'identification avec le personnage et nous
faire mieux ressentir le basculement, de la vivre dans l'intimité du Français.
Mais ce choix n'a jamais fonctionné pour moi, parce que la voix du Français
manque de cohérence. Il se retrouve avec des questionnements, des réflexions,
des pensées qui ne collent pas avec qui il semble être. Il devrait n'avoir
qu'une vingtaine d'année. Il fait pourtant parfois preuve d'une maturité
étonnante, avant d'agir comme un idiot.
Tout
semble trop glisser sur lui. Il aurait été selon moi plus judicieux de jouer
sur une narration à la troisième personne, même très froide et clinique pour
conserver cette distance et faire du Français un archétype que le lecteur
aurait pu tout aussi bien animer.
Le plus
gros problème du livre est relatif à son dernier acte. Sans vouloir en dévoiler
trop sur l'intrigue, disons que Julien Suaudeau utilise une ficelle qui rend sa
démonstration trop artificielle, d'autant que je ne la pensais pas nécessaire.
Il n'aurait pas été plus invraisemblable de le faire arriver dans le camp de
Daesch sans recourir à cet artifice.
Si le
livre était jusque là encore plaisant, malgré les réserves que j'avais jusqu'alors,
je me suis ennuyé sur le dernier quart, n'arrivant plus à m'intéresser le moins
du monde à cette histoire. Pourtant, je continue à penser que le livre est
intéressant, parce qu’il rappelle qu’on ne naît pas terroriste. On le devient.
Et le chemin qui y mène est long, compliqué, destructeur et différent pour chacun.
Le Français n’est
qu’un pion, une quantité négligeable dans un jeu qui le dépasse. Il est le
produit de jeux de pouvoir, une ressource sacrifiée. Cela n’excuse en rien les
actes qu’il commet. Il est devenu un monstre. Il a pourtant été un homme, ni pire, ni meilleur que des millions d'autres. Mais comprendre le cheminement est la
première étape pour l’endiguer.Un livre qui fait froid dans le dos.
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