mardi 20 octobre 2015

Les Brigades du Rire, de Gérard Mordillat, drôle et engagé



 

Pierre Ramut, éditorialiste vedette de Valeurs Françaises, auteur du bestseller La France Debout, fustige sans relâche la faiblesse française et prône plus de flexibilité dans le monde du travail, un modèle social repensé pour relancer la compétitivité et concurrencer les chinois. Il est l'un des ardents partisans de l'ultra-libéralisme, selon lui la seule issue pour restaurer la grandeur de la France.
Sur la même planète, une bande de copains d'enfance se retrouvent. Ils ont connu leur heure de gloire il y a 30 ans lorsqu'ils formaient équipe de handball. Depuis, chacun a fait son chemin. Isaac est producteur de cinéma, Dylan est enseignant, l'Enfant-Loup a repris le garage familial, Kol vient d'être licencié de l'imprimerie qui l'employait... des destins différents, mais une amitié qui a survécu.
Lors d'une soirée de retrouvailles, les verres s'enchaînent, la discussion s'anime et ce constat que, malgré les années, ils sont restés fidèles à leurs convictions de gauche, tandis que ce qui les révoltait n'a cessé de prospérer. La colère commence à monter. On refait le monde, on s'emporte... mais cela ne sert à rien.
Ils ne peuvent plus se contenter de se croiser les bras.
Ils veulent faire quelque chose.
Une idée germe.
L'envie de faire quelque chose.
Mais que faire qui soit utile sans être contre-productif.
Sans violence.
Mais avec humour.
Au bout de la nuit, les Brigades du Rire sont nées, en référence aux Brigades Rouges.
Comme les brigades Rouges, les Brigades du Rire vont enlever une personnalité représentative de tout ce qu'elles détestent.
La cible est vite identifiée: Pierre Ramut.
Mais ils ne veulent pas faire de Ramut un nouvel Aldo Moro.
La comparaison s'arrêtera là.
Il n'y aura pas ni revendication, ni rançon.
Il n'y aura pas de violence.
Juste une leçon.
Pierre Ramut est enfermé dans un bunker dissimulé sous le garage de l'Enfant-Loup.
Il va être mis au travail.
On lui fournit une perceuse à colonne, un bleu de travail et un travail: percer des trous dans des plaques de duralumin, à la cadence de 600 pièces à l'heure.
Mais il faut faire les choses en règles. Ramut signe un contrat de travail, il touchera un salaire, bénéficiera de RTT... mais dans les conditions qu'il préconise dans ses éditoriaux.
Le SMIC est trop cher et handicape les entreprises, Il sera payé au SMIC diminué de 20%. Il doit travailler en pause selon les 3x8 et prester des heures supplémentaires non-payée pour respecter la cadence, doit accepter des heures supplémentaires lorsque la demande augmente...



Pierre Ramut, l'intellectuel qui n'a jamais travaillé de ses mains, découvre la réalité du monde ouvrier. Ce monde qu'il méprise sans le connaître.
Gérard Mordillat est un homme de gauche, un homme engagé et en colère. Mais un homme qui n'a pas oublié que rire est essentiel.
Ses Brigades du Rire sont à son image: passionnées, pertinentes dans la critique qu'elles délivres et impertinentes qu'à la manière de porter cette critique.
Son idée est jubilatoire et bien menée jusqu'à son terme. je dois avouer avoir craint qu'il n'arrive pas à conclure son roman de manière satisfaisante. Mais il s'en sort parfaitement, parce qu'il a eu l'intelligence de ne pas tomber dans la fable politique facile. Les Brigades du Rire sont consciente de l'aspect dérisoire de leur entreprise.
Pas de revendication, pas de discours enflammés pour défendre une thèse contre l'autre.
Juste des destins qui seront transformés par cette histoire. Finalement Ramut et les membres des Brigades sont pareils: de simples individus au sein de la société. Ramut fera l'amère expérience de voir que le monde continue de tourner sans lui. Sans même un soubresaut de la machine. Il ne vaut pas plus que les autres.
Gérard Mordillat ne tombe jamais dans le piège du livre idéologique. Il a écrit un roman très divertissant, mais qu'il parsème de réflections ou pensées qui précisent sa pensée.
Il nous rappelle qu'avant, on avait un métier, puis un travail, qui s'en mué en emploi avant de devenir un job. L'évolution du mot en dit long sur la dégradation de l'image du travailleur. Un employé, comme son nom l'indique, s'emploie, comme on emploie un outil. Dans le même temps, la société a troqué ses responsables du personnel à des directeurs des ressources humaines. Le travailleur n'est plus une personne, mais une ressource que l'on peut ajuster. Et pour faire plus efficace, on préfère parler de DRH, dont on ne sait plus si le D de cet acronyme renvoie à directeur ou destructeur.
Gérard Mordillat nous rappelle la fracture sociale qui s'agrandit entre le monde du travail et celui des élites. Par exemple, lors d'une scène savoureuse, Pierre Ramut reçoit sa fiche de paye et découvre toutes les retenues dont il n'avait pas idée. Après les déductions légales et les retenues pour logement et nourriture, il ne lui reste que quelques dizaines d'euros.
Dans un autre passage, il s'enflamme, reprenant Robespierre qui fustigeait la charité, parce qu'elle sert de prétexte à accepter l'inégalité. La charité abroge l'égalité, dit-il. A ce moment, j'ai directement pensé aux Restos du Coeur, sensés être une mesure d'urgence en attendant que les gouvernements prennent les mesures nécessaires pour agir contre cette extrême pauvreté. En lieu et place, la pauvreté à continuer d'avancer et les Restos du Coeur se sont institutionnalisés. Comme si la pauvreté était normale.
Les Brigades du Rire est un livre drôle, mais grave. Un livre qui met l'individu au centre de ses préoccupations. Il y a quelque chose qui me rappelle le cinéma social anglais, dans cette faculté de jongler avec la légèreté et la gravité. Ce n'est pas un grand livre, mais c'est un livre réussi, qui touche, amuse et fait réfléchir. A notre époque, ce n'est déjà pas si mal.

2 commentaires:

  1. Il a juste été génial dans LAD; reste à lire le bouquin.

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  2. oui, cela a été un plaisir de le recevoir :o)

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