Quand
j’étais gamin, j’adorais un livre dans la bibliothèque de mes parents. C’était
une anthologie de Jacques Stenberg consacrée aux récits d’épouvante: Les Chefs d’Oeuvres de l’Epouvante. Plus que les nouvelles qui composent ce recueil,
c’est d’abord par ses illustrations que ce livre m’a fasciné. La couverture
signée JP Gourmelen m’a déjà durablement marqué, mais des années plus tard, je
me rappelle encore très distinctement de certaines pages.
Ce livre
fut pour moi la porte d’entrée pour de nombreux auteurs. C’est dans ses pages
que j’ai croisé pour la première fois Philip K Dick, Guy de Maupassant, Ray Bradbury,
Jean Ray, Robert Bloch… et cet auteur au mystérieux pseudonyme: Saki.
Jacques Stenberg avait sélectionné une nouvelle assez perturbante: Gabriel-Ernest, une
histoire de loup-garou dont j’ai, très jeune, senti le sous-texte érotique. Je ne savais pas trop si j’aimais ce
texte ou non. Mais je ne l’oubliai pas.
Bien des années plus tard, en
expédition à la Fnac pour dégotter des livres pour occuper mes séances de
lézardes au bord de la piscine en vacances. Mon regard tombe sur Reginald,
suivi de Reginald en Russie, de Saki. Je me suis directement souvenu de Gabriel-Ernest
et j’ai acheté ce recueil sans réfléchir.
J’ai adoré ce livre et je suis
depuis un inconditionnel de Saki. Et je dois reconnaître avoir du mal à
comprendre pourquoi cet auteur reste aussi confidentiel.
De son vrai nom Hector Hugh Munro, Saki naît en 1870 en
Birmanie, d’un père colonel de l'armée des Indes. Très
tôt
orphelin de mère, il est élevé par deux tantes acariâtres et
autoritaires
qui lui garantissent une enfance maussade. Dès la fin de ses
études, il regagne la Birmanie où il s’engage dans la police. Il est
rapidement contraint de revenir en Angleterre, terrassé par la malaria.
Il embrasse alors la
carrière de journaliste, en tant que correspondant pour le Morning Post.
Dès
1900, il entame en parallèle une carrière d’écrivain sous le pseudonyme
de Saki,
en référence au poète persan Omar Khayyam. Lors de la première guerre mondiale, il combat en France où il meurt
en 1916, en toute fin de la Bataille
de la Somme, à Beaumont-Hamel.
Il laisse une oeuvre singulière, marquée
par un humour noir, féroce et grinçant, se moquant volontiers de l’aristocratie
anglaise. Outre deux romans: L’insupportable Bassington (étrangement mélancolique
et pessimiste) et Quand Guillaume vint (une curiosité décrivant l’angleterre
sous l’occupation prussienne du Kaizer Guillaume), l’essentiel de son oeuvre
tient en plus d’une centaines de nouvelles souvent réjouissantes.
En général n’excédant pas une
quinzaine de pages. Elles allient l’efficacité d’un Maupassant à l’esprit
“so british” d’un Oscar Wilde. Elles regorgent d’aphorismes et de piques .
“Ne soyez jamais un précurseur : c'est toujours au premier chrétien qu'échoit le plus gros lion.”
“Ne vous attendez pas à ce qu’un garçon soit dépravé tant qu’il n’a pas été envoyé dans une bonne école.”
“Les jeunes ont des aspirations qui ne se concrétisent jamais, les vieux ont des souvenirs de ce qui n’est jamais arrivé.”
“L’art de la vie publique, c’est de savoir exactement où il faut s’arrêter, et d’aller un peu plus loin.”
"Tous les gens bien vivent au-dessus de leurs revenus aujourd'hui, et ceux qui ne sont pas respectables vivent au-dessus du revenu des autres. Quelques individus particulièrement doués réussissent à faire les deux à la fois."
Les sujets
de prédilections sont l’enfance et l’aristocratie anglaise. De nombreuses
nouvelles mettent en scène la bonne société tournée en ridicule par ses
enfants. Pour Saki, l’enfance semble malgré tout se continuer jusqu’à l’âge
adulte. Ainsi, deux personnages récurrent, Clovis et Reginald, sont de jeunes hommes
qui observent leurs aînés avec une ironie mordante. Ils sont sur le
point de faire leur entrée dans la société des adultes, mais se complaisent
dans cette période charnière où ils profitent de leur statut de jeunes hommes pas
encore introduits dans la vie active tout en étant complètement conscient de
l’hypocrisie qui les entourent. L’antichambre de la vraie vie, pourrait-on
dire. Leur oisiveté leur laisse tout loisir pour tirer profit de la situation,
déjouant les conventions avec une Plaisir évident.
On pourra
lui reprocher d’être parfois misogyne, mais c’est aussi un héritage de son
époque. Saki est surtout terriblement drôle, s’amusant des contradictions et de
l’hypocrise de le “bonne société”. On sent qu’il règle volontiers ses comptes
avec ses tantes, qui ne sont jamais, par définition en bonne santé. Il ne
ménage pas ces mères respectables qui tentent de marier leur boulet de fils à
tout prix, ces hommes stupides engoncés dans les conventions…
Alors que
Downton Abbey, qui met en scène à quelques années d’écart le monde que Saki
moquait, rencontre un tel succès et qu’approche le centenaire de sa mort, le
moment semble idéal pour redécouvrir cet auteur.
Malheureusement,
son oeuvre est disséminée un peu partout.
Il me
semble que les 3 recueils parus chez la livre de poche représentent l’approche
la plus exhaustive de ses nouvelles.
Deux
compilations sont parues chez 10/18 et une chez Belfond, qui a également publié
son roman L'Insupportable Bassington.
Une
intégrale de ses nouvelles en français existe mais il semble que la traduction soit médiocre.
Sinon,
l’intégrale de ses textes est disponible chez Penguin Classics à un prix très
avantageux. L’anglais n’est pas insurmontable, selon moi.
En tout
cas, les vacances sont souvent propices aux découvertes littéraires.
Essayez
Saki.
Il convient
parfaitement à la lecture pour les navetteurs, pour les longs trajets en avion,
sur le bord de la piscine, sur la terrasse… Saki peut sp’apprécier en toute
circonstance!
Merci pour cette belle découverte Thierry. Votre article donne envie de lire Saki. Hop! Dans la wishlist !
RépondreSupprimerJe n'ai pas réussi à m'abonner, je n'ai pas accès au module google, followers. Sans doute le réseau poussif du fin fond des campagnes du Ghana. Bonne journée !
Pour ma part, je recommande sa nouvelle "Sredni Vashtar", qui mêle fantastique et humour noir : manière originale de se venger d'une enfance sans véritable affection.
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