vendredi 4 mai 2012

Lettre aux Survivants, un roman dessiné de Gébé




Au début des années 70, Gébé se lance dans l’épopée utopique de l’An 1. On s’arrête, on fait un pas de côté et on réfléchit. On planche sur un film à faire ensemble. Il y a de l’optimisme, de la foi en l’avenir. Ce monde est bien mal en point, mais il ne tient qu’à nous de le remettre sur pied.
En 1981, l’ambiance est toute autre. C’est à peu près l’époque choisie par Alan Moore pour mettre en scène le monde morbide de Watchmen. La peur de La Guerre Nucléaire, la vraie Der des Der, parce qu'il ne restera plus personne, ressurgit. L’élection de Mitterand fait même craindre à certains l’arrivée des chars soviétique à Paris .

Koudelka, attendant les chars à Prague en 1968

Loin de l’utopie de l’An 1, Gébé signe alors cette troublante Lettre aux survivants.
Parue initialement chez Albin Michel sous l’appelation roman dessiné (sans doute en écho au terme "graphic novel" popularisé par Will Eisner), elle fut rééditée par l’Association en 2002. Ironie de l’histoire, si 1981 fut l’année du triomphe de Mitterand, 2002 fut celle de l‘humiliation de Lionel Jospin, éjecté du second tour de l’élection présidentielle par Jean-Marie Lepen.
Lettre aux survivants est précurseur dans la forme. Gébé compose des planches ou textes et dessins se mélangent hors de tout cadre prédéfini. Cette liberté formelle était encore très nouvelle à l’époque.

L’apocalypse a eu lieu. Les bombes ont rasé toute vie sur la surface de la Terre. Quelques survivants attendent calfeutrés dans leurs abris anti-atomiques. Mais qu’attendent-ils ? Le facteur, tout simplement.
Nagasaki, 1945

Affublé d‘une combinaison anti-radiations, il parcourt ce paysage désolé sur son vélo et apporte le courrier. Drôle de courrier, d’ailleurs, qu’il lit à cette famille modèle de petits bourgeois par l’intermédiaire d’un conduit d’aération. Les missives sont autant de fables absurdes qui désorientent ses auditeurs.
Gébé
Récit politique et poétique, cette lettre aux survivants questionne avec intelligence et humour certaines dérives de la société actuelle. En se plaçant délibérément dans le domaine de la fable et du symbole, Gébé évite l’écueil de la dénonciation des vices d’une période précise (les années 80 sous influence tatchérienne et reaganienne). Il prend de la hauteur et dénonce les vices d’une humanité toujours aussi malade 30 ans plus tard. Cette lettre fait froid dans le dos parce que, sous des airs fantaisistes, sa lucidité ne fait aucun doute. Le titre, d’ailleurs, ne fait mention que d’une seule lettre, alors que le facteur en délivre plusieurs. Simplement parce que ce livre est la seule lettre qui compte et qu’elle s’addresse aux survivants que nous sommes. Survivants anticipatifs d'une catastrophe qui est en train de se produire. Cette lettre en devient presque un testament que nous a laissé Gébé, plus de 20 ans avant sa mort en 2004.



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