Je laisse ce blog en friche depuis un moment.
Par manque de temps.
Parce que les chroniques que je réalise pour BDGest m'occupent assez bien.
Parce que j'ai des projets personnels que j'essaie de mener à bien, mais qui prennent plus de temps que prévu.
Pour pas mal raisons, bonnes et mauvaises. Mais je continue de recevoir des statisitiques qui semblent signifier qu'il y a encore des personnes qui tombent sur cette page. Certaines ont tenté d'en détourner les commentaires à des fins douteuses. J'ose espérer que d'autres aboutissent ici sans mauvaises intentions, par curiosité ou par le truchement de la magie de google.
Donc, peut-être que quelques personnes me lisent à l'occasion. ALors, j'en, profite pour faire passer un message.
Je tombe sur ce statut désabusé, pour ne pas dire désespéré de Fabrice Neaud, l'auteur de l'excellent Le dernier sergent, qui marque son retour dans le champ autobiographique après 22 ans d'absence.
Connaissez-vous la durée de vie d'un livre en librairie à parution ? C'est-à-dire, s'il ne "décolle" pas dans la minute ? Allez, je vous laisse réfléchir un peu.Vous avez la réponse ?Trois jours.
Le post est assez long et détaillé, mais cet extrait résumé la problématique
Et ce que je vois, de l'autre côté, c'est que mon livre, lui, après 4 ans de taf, 22 ans d'absence, 424 pages et paraît-il, "encensé" par mes pairs, moi le Phénix-des-hôtes-de-ces-bois, moi pour qui seul devrait compter "l'amour" que me porteraient d'innombrables fans en délire, moi "l'important", moi "l'indispensable", ce livre n'aura eu qu'un placement à 2000 ex et 3 jours d'existence. Vous vous souvenez, hein, quand, dès sa parution (fin septembre) je m'inquiétais un peu du fait que je ne le voyais pas en librairie où j'allais ? Et que tous mes fans en délire me faisaient leur biais du survivant en me disant que, eux, ils l'avaient bien trouvé ? Ben vous avez la réponse.Après un tel four au démarrage, c'est l'extinction définitive de l'ensemble du projet qui est annoncée.Qu'après un tel fiasco, si l'on parvient à la fin des quatre tomes (car le 4e sera alors placé à combien, en 2029/30/31 ? À 200 exemplaires à ce rythme ?) hé bien ce sera la fin de toute tentative autobio de ma part, de tout mon projet et donc de ma "carrière". Car aucun éditeur ne voudra plus de ça et que je n'ai aucune autre corde à mon arc.
Pour la faire court, le marché de la bande dessinée est tellement encombré que de nombreux ouvrages n'ont même plus la chance d'exister. S'ils n'ont ni d'exposition médiatique (telle celle générée par les sélections et récompenses), ni mise en place correcte, ils sont condamnés à mort.
En son temps, Luc Brunchwig avait vu la mise en place du premier tome de sa série SF Urban complètement foirée (due à une mauvaise communication autour du fait qu'il s'agissait du reboot d'un projet avorté). Il aura fallu la conviction et le travail de plusieurs libraires (dont Jaune, à Bruxelles) et d'une fan-base fidèle pour que le succès s'installe au fil des ans et que les auteurs puisse mener la série à son terme.
Pour un projet comme celui de Fabrice Neaud, la situation est autrement plus délicate. Il ne s'agit pas d'un travail classique, que ce soit en terme de sujet, de pagination, de thématique... Son Journal est hors-norme. Il interpelle, il bouscoule, il secoue, il émeut... il provoque des émotions chez le lecteur. Non pas de ces émotions pavloviennes, juste bonnes à tirer les larmes sans interroger l'âme, mais bien de celles qui forcent à se questionner, à réfléchir, à s'extirper de on point de vue étriqué.
Pas de provocation facile, de moralisme à deux balles, de militantisme exalté... au lieu de cela, de l'intelligence, un vrai point de vue sur le monde, mais dénué de cette insupportable morgue de ceux qui savent et pour qui seul leur point de vue compte.
A notre époque, ce genre d'expérience est rare.
On ne peut que remercier David Chauvel d'avoir convaincu Delcourt de rééditer les tomes parus précedemment chez Ego Comme X (j'étais passé à côté à l'époque, bêtement intimidé par la singularité de l'entreprise), avant d'éditer la suite de ce travail colossal et indispensable.
je n'ose imaginer combien d'ouvrages se retrouvent ainsi mort-né, la faute à un marché qui ne vit plus que pour des chiffres étourdissants, mais sans âme. Si Fabrice Neaud ose exprimer toute sa frustration, quitte à prête le flan à la critique (facile), ils et elles sont nombreuses à se heurter à cette aberration.
J'ai dit tout le bien que je pensais du Journal de Fabrice Neaud ici, puis ici, encore ici et enfin là en ce qui concerne Le Dernier Sergent. Je ne sais pas si je rends justice à la qualité de la démarche de Fabrice Neaud, mais j'espère au moins vous donner envie de sauter le pas. Commandez-le chez votre libraire, voire même sur le grand satan Amazon.
Et lisez-le.
L'expérience est singulière et (un peu) exigeante. Elle est surtout passionnante.